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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/406

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chair et en graisse. Les états de l’ouest, avec leur maïs, élèvent des porcs en nombre infini, les tuent dans des abattoirs vastes comme des villes, les couvrent de sel qui ne leur coûte rien, et les distribuent, en barils de viande salée, de lard et de saindoux, dans le monde entier ; mais, du moment qu’on leur offre un bon prix du grain, ils préfèrent le vendre en nature. C’est ainsi que le commerce de maïs a acquis maintenant de larges proportions à la Nouvelle-Orléans. L’Angleterre, depuis la nouvelle loi des céréales, en reçoit de grandes quantités. En ce moment même, le maïs à Liverpool est à 70 shillings le quarter (30 fr. l’hectolitre), pendant que la cote du blé est de 82 shillings (36 francs l’hectolitre). Le maïs est une nourriture agréable, moins substantielle que le blé cependant, et le prix qu’il a actuellement à Liverpool est exagéré relativement à celui du blé.

Comme entre l’Amérique et l’Europe les trajets par les paquebots à vapeur ne sont plus que de quinze jours, ce qui en suppose vingt-cinq jusqu’à la Nouvelle-Orléans, comme les navires à voiles sur lesquels on chargerait des grains ou des farines font le trajet dans une moyenne d’un mois à cinq semaines, les grains américains peuvent être en Europe deux mois environ après le départ de la commande. Ainsi, pour peu que le commerce ait été averti et que la saison ne s’y oppose pas, il est facile de tirer du Nouveau-Monde de vastes approvisionnemens en temps opportun.

Il ne faut cependant pas se bercer de l’espérance d’un bon marché extrême de ce côté. Le blé et les barils de farine qu’on trouve à acheter à New-York viennent de loin. Ce sont des produits de l’ouest, terre promise du cultivateur libre, Eldorado du paysan européen qui, muni d’un petit capital, veut se faire un beau patrimoine par son travail. Les denrées de l’ouest ont fait de 1,000 à 1,500 kilomètres avant d’être au port d’embarquement, et en majeure partie sur des canaux où les états perçoivent un péage plus élevé qu’on ne pourrait le croire[1]. Il en résulte qu’en temps ordinaire le blé de l’ouest ne pourrait guère être rendu dans nos ports à moins de 20 francs l’hectolitre. Rendus à Marseille, les blés d’Odessa coûtent moins communément ; je ne parle pas de cette année, où, dans la mer Noire comme en Amérique, des demandes multipliées, imprévues, précipitées, ont donné à la hausse une impulsion extraordinaire. Nous nous estimerions mille fois heureux en ce moment de voir dans l’intérieur les blés tenus partout sous la limite de 25 fr., qui

  1. Le blé et la farine supportent un péage de 3 centimes et un tiers par 1,000 kilog. et par kilom. parcouru, sur le canal Érié. Sur le canal d’Ohio, qui amène dans la direction de New-York les blés de l’état d’Ohio, c’est un peu plus. Sur les canaux français, dont l’administration dispose entièrement, comme le canal de Saint-Quentin, le péage est de 2 centimes ; mais même à 3 centimes et un tiers, un hectolitre, pour le trajet tout entier sur le canal Érié, ne paie que 1 fr. 50 cent. de péage. Il faut y joindre le transport proprement dit et les frais commerciaux.