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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/432

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blés durs venant de la mer Noire et du Danube, de l’Égypte, et autres échelles du Levant, de la Barbarie, du royaume des Deux-Siciles, de la Sardaigne, de l’Espagne, et à tous les autres blés de la même essence non dénommés qui pourraient leur être assimilés. » Ainsi, parce que la qualité des blés étrangers introduits, par exception et assurément en très petite quantité, en contrebande pouvait donner lieu aux populations de s’apercevoir que certains blés indigènes étaient mauvais, voilà qu’on interdit aux moulins en entrepôt de travailler les meilleurs blés du dehors, aux navires français de se procurer ainsi un chargement de farines supérieures, et on condamne la mouture en entrepôt et le commerce maritime à se restreindre aux produits inférieurs. On ne sait ce qui doit le plus surprendre, de l’audace de l’intérêt privé qui adresse de semblables réclamations, ou de la pusillanimité de l’autorité qui y cède.

Un moyen d’accroître encore les approvisionnemens de blé sur notre sol serait de faire exception pour cette denrée à quelques-unes des dispositions de nos lois de navigation. Pour encourager notre marine marchande, nous nous sommes mis à établir des surtaxes sur le pavillon étranger, et peu de mois se passent sans que le Moniteur publie quelque nouvelle ordonnance à cet effet. La décadence de notre navigation ne paraît que s’en accélérer, et, si c’était le lieu ici, je dirais comment, dans la plupart des cas, on devait s’y attendre. On pourrait déroger pour les blés à ce prétendu encouragement. Ce serait aussi le cas d’examiner une autre clause de notre législation maritime qui nous force à aller chercher en Amérique les provenances de ce pays, et nous interdit de les prendre à Liverpool ou à Londres, lorsqu’elles y sont à meilleur marché. Par cette disposition, fort efficace sur le papier pour le développement de notre marine marchande, on contraint nos fabricans de Rouen, de Saint-Quentin, de Mulhouse, de payer le coton beaucoup plus cher quelquefois, et on ne fait pas mettre en mer un brick de plus sous pavillon français, parce que tout le coton que nous consommons nous arrive sur des navires américains. En vertu de cette même clause, nos populations de l’Artois et de la Picardie voyaient, il y a deux mois, le blé des États-Unis à bon marché en face d’elles, dans les entrepôts anglais, sans pouvoir en aller chercher, pendant que la mercuriale était élevée chez nous. L’administration a eu le bon esprit, après de vives plaintes des populations, de suspendre sur ce point les lois de navigation. Il serait à désirer que ce régime provisoire devînt définitif au moins pour les blés ; notre navigation elle-même ne peut qu’y gagner, car il y a bien plus de chances pour que des navires français aillent de Dunkerque ou de Boulogne charger des grains en Angleterre, qu’il n’y en a pour que nous enlevions aux Américains le transport direct d’une partie appréciable de leurs blés.