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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/454

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après quelques mots de politesse, se retirèrent discrètement. Un autre jour, M. d’Esparon reçut devant son fils une lettre d’une forme mince et élégante ; il rougit, la lut rapidement et la chiffonna entre ses doigts : son agitation était visible, et un quart d’heure après il prit son chapeau sous un prétexte quelconque, et sortit. Tout cela n’était pas bien grave, surtout pour Albert qui ne pouvait en comprendre la portée, et qui était, dans ces occasions, plus surpris que mécontent, plus contrarié qu’attristé. S’il y avait dans ces courts épisodes quelque chose d’inquiétant pour sa rigoureuse droiture, Albert ne s’en doutait pas ; il marchait dans la vie avec la sécurité d’un voyageur qui a remis à son guide le soin de le protéger. Dans sa sublime ignorance, il ne soupçonnait pas le mal ; goûtant d’ailleurs auprès de son père un bonheur que rien ne troublait encore, il se préoccupait chaque jour davantage d’une pensée qui lui était chère, qui seule pouvait tranquilliser sa conscience lorsqu’il s’effrayait de se trouver si heureux. À mesure qu’il achevait de se laisser séduire par tout ce que le caractère d’Octave avait d’attrayant et de poétique, il se croyait plus sûr de réaliser l’espérance qui ne l’avait jamais abandonné, et qui lui montrait dans l’avenir M. et Mme d’Esparon rapprochés par son influence. Alors il se rejetait avec une pieuse ardeur vers le souvenir de sa mère, alors aussi il lui écrivait de longues lettres auxquelles elle répondait toujours de la même manière, en lui rappelant ses devoirs, en l’engageant à se méfier des séductions du monde, et surtout sans jamais lui dire un mot d’elle-même. Cette réserve glaciale affligeait vivement Albert et désorientait de plus en plus cette âme partagée entre une affection lointaine qui parlait un si froid langage et une tendresse complaisante qui ne lui avait demandé que de s’associer à ses joies. Au milieu de ces incertitudes, le temps s’écoulait, et quiconque eût pu lire dans le cœur de M. d’Esparon et de son fils eût deviné sans peine que la destinée de l’un ou de l’autre, et peut-être de tous les deux, dépendait du premier incident qui viendrait troubler le calme apparent de cette vie.

IV.

Au moment où Albert arrivait à Paris, le colonel George de Charvey s’y trouvait depuis quelque temps. Il y était venu pour revoir sa fille, alors pensionnaire dans un couvent, et ce lien l’y retenait chaque jour avec plus de force. Ce cœur énergique, à qui la vie des camps avait laissé toute la fraîcheur de ses émotions paternelles, éprouvait un plaisir toujours nouveau à assister au développement juvénile de cette gracieuse enfant ; mais comme un colonel de cavalerie ne peut pas, après tout, rester coustamment auprès d’une élève du Sacré-Cœur, George