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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/473

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cette salle, la vue de la duchesse, celle de son nouvel adorateur, tout avait augmenté le danger, et nous venons de voir comment il y succombait.

La duchesse de Dienne fut-elle sa dupe ? Céda-t-elle une fois encore à ce charme posthume qui fait croire aux femmes que des paroles d’amour sur les lèvres de ceux qui les ont aimées ne sauraient être tout-à-fait menteuses ? Devina-t-elle vaguement qu’elle avait un rival à combattre dans la personne de ce jeune homme qu’elle voyait près de la stalle vide d’Octave ? Eut-elle quelque idée de ce départ, et un dernier retour de coquetterie ou de vanité l’engagea-t-il à essayer ce qu’elle avait encore de puissance ? Le fait est que leur conversation s’anima de plus en plus, et, sous des apparences de raillerie ou de malice, eut des échappées affectueuses et tendres. De temps en temps, Octave, qui sentait le péril, faisait mine de se lever : mais elle le retenait par quelque gracieuse câlinerie. Il resta donc, et tous deux crurent un moment à la possibilité de rallumer des cendres éteintes : folle chimère, dont le premier effet était de déchirer, à quelques pas de là, un noble et jeune cœur !

Otello allait finir. Albert, incapable de demeurer plus long-temps en face de cette loge, gouffre de soie et de velours où s’étaient abîmées en un instant toutes les joies de son âme, n’attendit pas la fin du troisième acte, et s’enfuit comme un faon blessé qui retourne à son gîte. M. d’Esparon vit sortir son fils, il fit un mouvement comme pour aller le rejoindre dans le corridor ; mais les femmes les plus loyales ont aussi leurs heures impitoyables : dans cette soirée, la duchesse de Dienne avait accepté la lutte ; dès-lors il fallait qu’elle la soutînt jusqu’au bout.

— Cher comte, dit-elle d’une voix plus douce que la romance de Desdemona, aurez-vous la complaisance de me donner le bras jusqu’à ma voiture ? — Il n’y avait pas moyen de résister à une prière modulée avec tant de grâce. Octave attendit donc la chute du rideau ; Mme de Dienne et lui sortirent ensemble de la loge. On sait avec quelle majestueuse lenteur l’auditoire des Italiens descend le grand escalier. Une foule compacte arrêtait à chaque pas la marche de M. d’Esparon et de sa belle compagne. Tous les yeux se dirigeaient vers eux : « C’est la duchesse de Dienne et Octave d’Esparon, disait-on à demi voix. — Le poète et la muse ! — Dante et Béatrix ! »

Ils arrivèrent ainsi jusqu’au péristyle. Lorsque Mme de Dienne fut montée dans sa voiture, Octave renvoya la sienne. Il avait besoin de respirer, de réfléchir, de compter avec lui-même. Le passage Choiseul était encore ouvert. Il y entra, alluma un cigare, et revint à pied chez lui par les boulevards. La nuit était froide, mais calme et sereine. Des milliers d’équipages se croisaient dans tous les sens ; des flots de