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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/492

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un vague besoin d’expiation, un incurable et profond malaise. Lucretia, lasse de haïr, voudrait se racheter, et cherche de tous côtés une espérance de salut, une réconciliation avec le pouvoir invisible qu’elle dédaignait, qu’elle bravait naguère. Le hasard la conduit dans une petite ville où quelques enthousiastes et quelques hypocrites ont établi une congrégation méthodiste. En d’autres temps, elle eût ri de leurs momeries, de leur austérité plus apparente que réelle, de leurs discours où respire le plus intolérant fanatisme ; mais l’heure est venue où cette superbe intelligence, affaiblie par les tortures intérieures, doit subir le joug réservé aux plus humbles. Lucretia succombe, — égarée dans son repentir, comme elle l’était dans les tristes voies d’où elle essaie de se retirer, — et un prédicant de la petite secte où elle est entrée prend sur elle assez d’empire pour la déterminer à l’épouser. Mistress Dalibard devient mistress Braddell.

Le ciel semble d’abord bénir cette seconde union et donne un fils à la belle-mère de Gabriel Varney. Bientôt cependant elle prend en haine et en mépris le nouveau maître qui, profitant d’une éphémère prostration d’ame, s’est imposé à elle, et dont elle ne tarde pas à pénétrer les vues intéressées, les bas et ignobles penchans. De son côté, Braddell devine le changement survenu dans les dispositions de Lucretia. Chaque jour éclatent entre eux des mésintelligences de plus en plus graves. Usant de sa supériorité morale pour enlever à Braddell toute l’autorité paternelle, Lucretia le contraint, pour ainsi dire, à faire prévaloir la force physique, son seul avantage. Cette lutte aboutit à des scènes de violence. Lucretia, frappée par son mari, cesse de lui résister ; mais, à l’heure même, armée de ces poisons qu’elle a trouvés dans l’héritage de son premier mari, elle s’en sert contre le second. Un mal mystérieux, dont il devine à moitié l’origine, conduit en peu de temps aux portes du tombeau l’infortuné Braddell. Quand il sent approcher sa dernière heure, les conseils de ses amis le décident à ne pas souffrir que son unique enfant demeure sous la douteuse tutelle de Lucretia ; et, comme elle s’est éloignée de lui pour mieux détourner les soupçons que sa mort aurait pu éveiller, il fait disparaître, de concert avec un de ses coreligionnaires en politique, le fils adoré de Lucretia.

Ici, la similitude des noms aidant à la similitude des situations, comment ne pas songer à cette autre Lucrèce que M. Victor Hugo nous a montrée protégeant de loin un enfant bien-aimé, le seul lien qui la rattache aux devoirs de son sexe, le seul être pour lequel son cœur ait battu d’un amour sans reproches ? Seulement, moins heureuse que Lucrezia Borgia, Lucretia Clavering a perdu son Gennaro mystérieux, et toute sa vie va désormais se concentrer sur un seul intérêt ; elle se vouera tout entière à une recherche obstinée pour laquelle bien des ressources