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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/603

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un assez mauvais drôle qu’il fallait tenir à distance. Doña Béatrix ne manqua pas de venir faire à crédit dans le magasin des emplettes considérables : velours de France, toiles de Hollande, éventails de Chine, dentelles de Castille, tout y passa, si bien que Domingo crut devoir prévenir son maître ; mais celui-ci répondit sur-le-champ que, la señora voudrait-elle emporter la boutique, il faudrait la laisser faire. Tout était donc pour le mieux, et Domingo put regarder son plan de conduite comme tracé.

Une troupe de ces acteurs forains qui exploitent en tous pays, à certaines époques de l’année, la curiosité des villes de province, vint s’établir peu de temps après à Païta. Domingo, qui passait pour un des élégans de la ville, n’eut garde de manquer pareille fête. Un soir qu’il était, comme de coutume, assis tranquillement dans un coin de la salle, ce Reyes, dont il se méfiait, vint se placer devant lui de façon à lui cacher la scène. Domingo le pria poliment de se ranger un peu ; mais le garnement, pour toute réponse, l’envoya au diable, et répliqua brutalement qu’il eût à le laisser tranquille, ou qu’il lui couperait la gorge. C’en était trop, et le faux commis, pâle de colère, se levant tout à coup, dégaina sa dague. Par bonheur, des amis qui se trouvaient là se jetèrent sur lui, l’entourèrent, l’entraînèrent hors du théâtre, lui apprirent que Reyes avait long-temps convoité la place de commis qu’il occupait, et lui dirent de pardonner quelque chose à l’amour-propre blessé. Domingo fit semblant de les écouter, mais ce cœur indomptable ne pouvait pardonner une pareille offense ; il était rempli de fiel, et il attendait impatiemment, presque avec délices, l’heure de savourer sa vengeance. Cette heure sonna bientôt. Le lendemain, Reyes vint à passer devant le magasin, et, apercevant Domingo au comptoir, il cracha insolemment contre les vitres de la devanture. Aussitôt Catalina s’empara d’une épée de son maître et la ceignit : c’était la première qu’elle eût portée, mais depuis elle ne marcha guère sans une bonne lame à son côté ; elle essaya sur son doigt la pointe de sa dague et courut sur les traces de l’insolent. L’ayant rejoint sur la place, où il se promenait avec un ami, elle l’aborda brusquement : — Eh ! señor Reyes ! cria-t-elle d’une voix stridente. — Que voulez-vous ? reprit l’autre, étonné de la pâleur du jeune commis. — Je veux t’apprendre, dit-elle, comment ou coupe la gorge aux gens. — Et, tirant son couteau, elle le lui plongea dans la poitrine jusqu’au manche. Le malheureux tomba, et le vainqueur avait à peine eu le temps de se reconnaître, que deux alguazils survinrent qui le saisirent au collet et l’entraînèrent vers la prison de la ville.

On a déjà pu s’assurer que le désespoir n’avait guère de prise sur le cœur de Catalina. Cependant, quand la colère eut fait place à la ré-