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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/641

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il contait l’histoire. C’est à peine s’il fut entrevu par quelques rares amateurs, et il est passé maintenant à l’état de curiosité bibliographique.

Les mémoires originaux de Catalina sont, je dois le dire, maladroitement écrits. C’est moins un récit que la matière d’un récit ; c’est un sec et court sommaire sans animation et sans vie. On sent que la main qui a tenu la plume s’était durcie sur le pommeau d’une épée, et je trouve dans l’inexpérience même du narrateur la meilleure garantie de sa véracité. Inventés, ces mémoires eussent été tout différens ; un écrivain eût fait mieux ou autrement. Le style de Catalina est rude, grossier, souvent obscur, et parfois d’une franchise intraduisible, qui frise le cynisme. À tout prendre, ce récit, quoique espagnol, est loin d’être orthodoxe. Un lecteur scrupuleux le trouverait-il même condamnable au point de vue de la morale, je n’en serais nullement surpris ; quantité de drôles ont été pendus qui valaient infiniment mieux, j’en conviens, que la monja alferez. Ses fautes, cependant, si graves qu’elles puissent être, n’inspirent pas le dégoût. C’est une nature sauvage, livrée à elle-même, qui n’a conscience ni du bien, ni du mal. Élevée jusqu’à quinze ans par des religieuses ignorantes, abandonnée depuis cette époque à tous les hasards de la vie errante, à tous les instincts d’une nature vulgaire, Catalina n’a pu apprendre d’autre morale que celle des grands chemins, des camps et des matelots. Elle ne sait évidemment pas ce qu’elle fait ; elle raconte elle-même, sans malice, sans forfanterie, sans jamais songer à s’excuser, des hauts faits passibles, au temps où nous sommes, de la cour d’assises. Elle vole avec candeur, la digne femme, et elle tue avec naïveté. Pour elle, la mort d’un homme, c’est la moindre des choses. « Elle arrive dans telle ville, écrit-elle souvent (parlant d’elle-même à la troisième personne, comme César), et elle en tue un, mata a uno. » C’est un homme qu’elle veut dire, il s’agirait d’un lièvre qu’elle ne parlerait pas autrement ; mais, en définitive, pourquoi serions-nous plus sévères pour Catalina que le roi qui l’a récompensée et que le pape qui lui a donné l’absolution ?

Il va sans dire que M. de Ferrer ne publie pas le précieux manuscrit sans y joindre une longue, une très longue moralité. Il interpelle tour à tour dans sa préface, à propos de l’éducation de Catalina, de sa force musculaire et de son intelligence, les législateurs, les naturalistes et les philosophes. Aristote, Newton, Lope de Vega, Voltaire lui-même, sont mandés au conseil. « Doña Catalina, s’écrie-t-il en se résumant, est loin d’être un modèle à suivre ! » Je le crois bien. « Il est malheureux, ajoute-t-il, qu’elle n’ait pas autrement utilisé les fortes qualités dont la nature l’avait dotée. Qui peut dire si, mieux dirigée au couvent, elle ne serait pas devenue une autre sainte Thérèse ? si, tournée-