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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/663

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mêmes étrangers qui les jugent. Les détenus sont assujettis à un travail régulier ; on les emploie à ramasser le sel, à couper du bois, à cultiver le blé. La colonie était au commencement une charge pour l’Angleterre ; elle est devenue une source de profits. D’après les derniers comptes que nous avons sous les yeux, les recettes annuelles montaient à 1,500 livres sterling, et les dépenses seulement à 200 livres. Les condamnés se montrent assez dociles sous la menace des châtimens qui ne leur sont point épargnés ; tous néanmoins ne se résignent pas également à leur nouveau genre de vie. Si quelques-uns semblent plongés dans une brutale indifférence, d’autres languissent de chagrin et succombent. Chaque fois qu’un nouveau prisonnier débarque, ces malheureux l’entourent, l’interrogent avidement sur leurs amis, sur leur famille, sur cette terre paternelle qu’ils aperçoivent de loin et qu’ils ne fouleront peut-être plus. Ils se souviennent alors avec plus d’amertume de la liberté de la vie sauvage, de leurs toits grossiers, sous lesquels ils ne subissaient pas une volonté étrangère. Parfois, d’un œil inquiet, ils suivent la fumée qui sort de leurs forêts et que le vent pousse vers leur prison comme un message ami ; la tristesse renfermée en leur ame éclate en sanglots, et ces hommes, résolus à échapper à leur malheur, se laisseraient mourir de faim si leurs geôliers ne les contraignaient pas à prendre de la nourriture.

Que faut-il penser de l’institution de ce régime pénitentiaire, que les Anglais ont cru devoir transporter au milieu de tribus primitives ? N’est-ce pas un esclavage déguisé ? Comment se glorifier d’avoir donné au monde le grand exemple de l’abolition de la servitude coloniale, si, autour des nouveaux établissemens, on rend le sort des indigènes cent fois pire que l’esclavage le plus dur ? Est-ce donc là cette philanthropie qu’on voudrait présenter à l’Europe comme un exemple ? Je ne connais rien de plus contraire aux idées de la justice suprême que cette politique d’un peuple qui, ne reculant devant aucun abus de la force, brave le premier les lois morales imposées par la terreur aux populations vaincues. Autant vaudrait prononcer une proscription en masse. Si les représentans de la civilisation ont des droits sur les peuplades tombées dans l’état sauvage, c’est à la condition de réunir à une intelligence plus cultivée des sentimens plus élevés, un plus grand respect de la dignité humaine et de l’équité naturelle. L’institution de l’île Rottenest suffit pour donner une idée de l’esprit qui a dicté aux Anglais leurs prétendues mesures de bienveillance. Voilà ce que l’on considère comme un progrès ! Quelle trace sanglante nous aurions à suivre, s’il nous fallait raconter maintenant les excès avoués, les violences commises au grand jour ! On jugera jusqu’à quel point le mal a été poussé, puisque le capitaine Stokes dit à ce propos : « Sans vouloir accuser avec trop de dureté aucune classe de mes compatriotes, je