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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/745

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contre eux, mais pour surveiller les mouvemens des deux partis luttant encore sur ce point.

J’étais allé à Beyrouth, où j’avais appris ces nouvelles. Je revins très tard, et l’on me dit qu’un émir ou prince chrétien d’un district du Liban était venu loger dans la maison. Apprenant qu’il y avait aussi un Franc d’Europe, il avait désiré me voir et m’avait attendu long-temps dans ma chambre, où il avait laissé ses armes comme signe de confiance et de fraternité. Le lendemain, le bruit que faisait sa suite m’éveilla de bonne heure ; il y avait avec lui six hommes bien armés et de magnifiques chevaux. Nous ne tardâmes pas à faire connaissance, et le prince me proposa d’aller habiter quelques jours chez lui dans la montagne. J’acceptai bien vite une occasion si belle d’étudier les scènes qui s’y passaient et les mœurs de ces populations, parmi lesquelles vit encore le souvenir du savant Volney.

Il fallait, pendant ce temps, placer convenablement l’esclave, que je ne pouvais songer à emmener. On m’indiqua dans Beyrouth une école de jeunes filles, dirigée par une dame de Marseille, nommée Mme Carlès. C’était la seule où l’on enseignât le français. Mme Carlès était une très bonne femme, qui ne me demanda que trois piastres par jour pour l’entretien, la nourriture et l’instruction de la pauvre Zeynèby. Je ne partis que trois jours après l’avoir placée dans cette maison : déjà elle s’y était fort bien habituée et était charmée de causer avec les petites filles, que ses idées et ses récits amusaient beaucoup.

Mme Carlès me prit à part et me dit qu’elle ne désespérait pas d’amener sa conversion. — Voyez-vous, me dit-elle avec son accent provençal, voilà, moi, comment je m’y prends. Je lui dis : Vois-tu, ma fille, tous les bons dieux de chaque pays, c’est toujours le bon Dieu ! Mahomet, c’est un homme qui avait bien du mérite… mais Jésus-Christ, il est bien bon aussi !

Cette façon tolérante et douce d’opérer une conversion me parut fort acceptable. — Il ne faut la forcer en rien, lui dis-je.

— Soyez tranquille, ajouta Mme Carlès, elle m’a déjà promis d’elle-même de venir à la messe avec moi dimanche prochain.

On comprend que je ne pouvais la laisser en de meilleures mains pour apprendre les principes de la religion chrétienne et le français… de Marseille.


GERARD DE NERVAL.