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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/793

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dans les flots de la mer. Un jour est enfin venu où les obstacles que ces eaux accumulaient devant elles les ont fait refluer le long du pied méridional des Alpines. Elles ont alors creusé le vallon des marais des Baux, et, arrêtées par le plateau calcaire sur lequel est posée Arles, elles se sont infléchies au sud-est, et sont arrivées à la mer par le lit des étangs de Ligagneau et de Galéjon, laissant pour trace de leur passage les vastes marais qui subsistent encore. Enfin l’étroite tranchée de Lamanon s’est encombrée, et la Durance a été repoussée au nord des Alpines ; mais, avant de s’établir dans son lit actuel, elle a fait invasion par Orgon et les Palus de Molèges, puis par Château-Renard, Saint-Gabriel et Eyragues, joignant ainsi le Rhône à peu de distance en amont d’Arles.

La marche de tous ces bouleversemens est restée profondément empreinte sur le sol ; on peut y suivre les lits que s’est successivement creusés la Durance, et ce serait une étude du plus haut intérêt sur la génération des terrains d’alluvion et l’action des grands courans d’eau que celle où, relevant, le niveau à la main, les traces de ces érosions, on reproduirait le spectacle de révolutions si modernes aux yeux du géologue.

Le terrain de poudingue de la Crau une fois formé, les dépôts limoneux du Rhône l’ont chaussé, et ont étendu au-dessous de lui un terrain de sable gras, toujours humide et souvent submergé. Ces deux alluvions adjacentes ont des caractères essentiellement différens. Dans leur état naturel, la plus élevée est vouée à la stérilité par la nudité des cailloux dont elle est formée, et la richesse du sol de la plus basse est étouffée sous les eaux : ce qui manque à l’une est précisément ce que l’autre a de trop.

Le premier qui conçut les moyens de tirer parti de cette disposition des lieux fut Adam de Craponne, l’un des plus grands citoyens qu’ait vu naître la Provence, et le premier ingénieur de son temps. Il amena dans la tranchée de Lamanon une dérivation de la Durance prise à 23 kilomètres en amont, et la dirigea sur Arles au travers de la Crau. Le canal de Craponne a 68 kilomètres de longueur et 137 mètres de pente ; une de ses branches va de Lamanon à Salon ; il arrose 13,500 hectares, dont il décuple la valeur, et fournit des forces motrices à trente-trois usines : cette grande entreprise, commencée en 1554, se terminait en 1559, et, quelques années plus tard, l’homme de génie qui l’avait conçue et exécutée mourait, à peine âgé de quarante ans, dans un hôpital de Nantes.

En 1773, une nouvelle dérivation, le canal des Alpines, fut tirée de la Durance. Elle se divise en deux branches, dont l’une côtoie la route de Marseille à Paris, et arrose au nord des Alpines les territoires d’Orgon,