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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/801

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le courant les abandonne en s’amortissant, et ils sont alternativement poussés par ses eaux et par les vents du large. Ainsi s’entretient cette barre, à laquelle le courant du littoral enlève chaque jour une partie des sables qu’il dépose sur la côte du Languedoc, mais dont chaque crue du Rhône répare les pertes. Vainement la percerait-on, ou porterait-on, au moyen de digues, l’embouchure du fleuve au-delà ; une nouvelle barre se formerait immédiatement un peu plus loin, et il en sera de même tant que le Rhône aura des crues, tant que ses eaux se troubleront en grossissant. C’est ce qu’exprimait Vauban dans son pittoresque langage : « Les embouchures du Rhône, pour lesquelles on a tant fait de dépenses, sont, disait-il, et seront toujours incorrigibles[1]. »

La belle profondeur du port d’Arles se perd donc dès que les eaux du Rhône cessent d’être pressées entre deux rives ; la barre qui défend l’accès du fleuve a très rarement plus de 1 mètre 50 centimètres à 2 mètres d’eau. Pour rendre les navires aptes à la franchir, il a fallu élargir leurs flancs aux dépens de leur profondeur, et renoncer à leur donner les qualités les plus nécessaires pour tenir la haute mer. On a formé de la sorte un matériel naval approprié à des parages inaccessibles aux bâtimens ordinaires, mais se comportant assez mal partout ailleurs, et la marine d’Arles exploite seule son atterrage, à la condition de s’interdire toute autre navigation.

Partout où Vauban a passé, il a étudié les grandes entreprises à exécuter pour l’avantage de notre pays, et les meilleures solutions des difficultés qui lui ont survécu sont presque toujours, aujourd’hui même, celles qu’il a proposées ; le temps, qui modifie et renverse tant d’autres projets, n’a fait que mettre en évidence la justesse et l’élévation des siens. Convaincu de l’impuissance de l’homme à écarter de la route des navires les immenses dépôts qu’accumule incessamment le Rhône, il a le premier conseillé d’en abandonner l’embouchure, et d’aller chercher à trois lieues et demie à l’est, et par conséquent hors de la portée des alluvions que le courant du littoral de la Méditerranée entraîne en sens contraire, un débouché facile et sûr dans le port de Bouc. Le port de Bouc, dans lequel la nature et l’art ont opéré depuis d’assez notables changemens, était alors un bassin presque circulaire de 1,200 mètres de diamètre, séparé de la mer par des roches assez élevées, entre lesquelles s’ouvrait une passe de 550 mètres, et sans communications avec l’intérieur des terres. Vauban proposait de faire dériver du Rhône, en aval d’Arles, un canal de douze pieds de profondeur qui serait amené dans ce bassin : il voulait ainsi faire remonter jusque sous les murs de la ville les bâtimens de 400 tonneaux, et les mettre en contact immédiat

  1. Oisivetés de M. de Vauban, ou Ramas de mémoires de sa façon sur différens sujets, t. I. — Mémoire sur le canal de Languedoc.