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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/807

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vaisseaux de ligne, et de fonder sur cet ensemble un établissement militaire qui rivaliserait avec celui de Toulon[1].

C’est assurément une grande idée, séduisante surtout, que celle d’équiper et d’instruire des flottes sur une mer intérieure tout-à-fait impénétrable aux marines ennemies ; mais, quel qu’en soit le prestige, il ne saurait voiler aux yeux des hommes attentifs les circonstances naturelles qui imposent des limites infranchissables au service de l’établissement qu’il s’agirait de créer ici.

Il n’y a point de port militaire sans rades, sans vastes abris extérieurs, et ce qu’offre en ce genre Toulon dans les proportions les plus magnifiques manque tout-à-fait au port de Bouc. Il faut le chercher entre la côte de fer qui s’étend à l’est jusqu’à Marseille et les bas-fonds qui se prolongent à l’ouest en avant de la Camargue ; l’atterrage en est environné de dangers pour les petits bâtimens à voile, à plus forte raison pour les grands, qui, même dans les plus beaux temps, sont obligés de se tenir à une distance respectueuse des embouchures du Rhône. Considérée de plus près, l’entrée du port de Bouc est à demi masquée par la roche sous-marine des Tasques, sur une partie de laquelle il n’y a pas plus de 4 à 5 mètres d’eau, et elle est toujours difficile par les vents de l’est et du sud. Enfin ce bassin, qui semble au premier aspect capable de recevoir les plus grandes flottes, n’offre que 30 hectares où la profondeur soit de plus de trois mètres, que 9 où elle soit de 5 à 7. Les vaisseaux et les frégates sont donc exclus du port de Bouc, et il n’offrira jamais qu’un abri passager aux bâtimens de guerre plus légers.

Il pourrait en être autrement de la marine à vapeur. Celle-ci porte en elle-même les forces nécessaires pour vaincre l’action des vents et des courans, et les obstacles devant lesquels échoue ordinairement tout l’art de la navigation à la voile sont le plus souvent pour elle comme s’ils n’existaient pas. Ce mérite de la marine à vapeur permet à l’état de profiter de tous les avantages économiques que présente pour son exploitation le port de Bouc. Quand les houilles anglaises n’affluent pas dans la Méditerranée, et particulièrement en temps de guerre, le port de Toulon ne peut tirer ses approvisionnemens en combustible que des mines d’Arles et de Saint-Étienne, et ils lui parviennent par le Rhône, le canal d’Arles et le port de Bouc. Or, le fret de Bouc à Toulon ne sera jamais de moins de 5 francs par tonne, et à ce prix il y aurait, sur le mouvement actuel des bâtimens à vapeur de l’état, une économie de plus de 200,000 francs par an à prendre Bouc pour point de départ et de ravitaillement. En temps de guerre, où toutes les ressources se rétrécissent,

  1. Voir le rapport du 30 avril 1844 de M. d’Angeville à la chambre des députés sur le projet de loi relatif à l’amélioration des ports, la discussion qui a suivi, le rapport du 22 juin suivant de M. le baron Charles Dupin à la chambre des pairs, l’enquête faite à Bouc et aux Martigues par M. Nonay, capitaine de vaisseau.