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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/829

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d’une poignée de nos soldats[1] ; mais, si l’attaque avait été conduite avec la même énergie que la défense, l’avantage restait au nombre, l’île tombait aux mains des Anglais, et ils fondaient sur nos côtes un

  1. Ce fait d’armes a passé inaperçu au milieu de l’éclat des batailles de l’empire. Il n’est pas dans les tendances de la Revue des Deux Mondes d’admirer les guerres d’invasion ; mais tout ce qui tient à l’inviolabilité du territoire est empreint d’un caractère sacré, et l’on nous saura gré de tirer de la poussière des archives le rapport officiel fait au ministre de la guerre le surlendemain de l’événement. On cite avec admiration sur la côte de Provence ce combat dont la perte eût entraîné de si terribles conséquences ; mais, à la Ciotat même, les noms de ceux qui le dirigèrent sont oubliés : la reconnaissance du pays saura maintenant où les chercher.
    « Marseille, le 3 juin 1812.
    « J’ai à rendre un compte détaillé à votre excellence de l’affaire qui a eu lieu à la Ciotat, le 1er de ce mois.
    « A deux heures du matin, cinquante-quatre embarcations ennemies s’avancèrent sur l’île Verte pour y tenter un débarquement. Quelques canonniers et ouvriers d’artillerie qui s’y trouvaient leur opposèrent résistance, et l’amiral fit signal à ses embarcations de se rallier. M. Bellanger, chef de bataillon du 1er régiment de ligne, fit passer de suite à l’île Verte un détachement de soixante-dix hommes de son régiment, commandé par M. le lieutenant Roche. M. de Champeaux, commandant la station de la marine, y joignit quarante hommes du 2e régiment d’artillerie de marine, commandés par M. le lieutenant Gérin.
    « Neuf vaisseaux s’approchèrent, et, par un feu continuel, protégèrent le débarquement de plusieurs chaloupes qu’on n’avait point encore aperçues, et l’ennemi parvint à mettre trois cents hommes à terre, qui gagnèrent les hauteurs pour s’en emparer ; mais nos troupes qui s’avançaient les rencontrèrent. Bientôt une vive fusillade s’engagea, et, la baïonnette aux reins, les Anglais furent repoussés et poursuivis jusqu’au bout de l’île, où ils se jetèrent à la hâte dans leurs chaloupes, traînant après eux plusieurs morts et blessés.
    « Dans le même moment que le débarquement s’opérait à l’île Verte, douze embarcations se présentèrent devant le poste du Sec, à environ une demi-lieue de la Ciotat, où se trouvait un bivouac de quinze hommes, commandé par le jeune Dérivaux, sergent au 1er régiment de ligne. Nul doute que le projet de l’ennemi ne fût de forcer ce poste, tourner la batterie de Mathelas et entrer à la Ciotat pour y brûler et détruire notre convoi, les bâtimens de l’état et les chantiers de constructions ; mais le brave Dérivaux sut si bien placer sa petite troupe et diriger son feu, que l’ennemi ne put parvenir à mettre un seul homme à terre.
    « Les Anglais, se voyant repoussés de tous côtés, rappelèrent leurs embarcations et reprirent le large. Dans cette affaire glorieuse, canonniers-garde-côtes, marins, soldats de l’armée de terre, tous ont rivalisé de zèle et de courage. On en doit le succès à la parfaite harmonie des autorités militaires, maritimes et civiles, aux sages dispositions qu’ont prises M. le chef de bataillon Bellanger, M. de Champeaux et M. Sarrazin, capitaine de canonniers-garde-côtes commandant l’artillerie, au talent du lieutenant Roche, à l’intrépidité et au courage du sergent Dérivaux.
    « L’ennemi a honteusement abandonné ses projets, après avoir reçu plusieurs boulets à bord et deux bombes. Il a eu deux chaloupes coulées. De notre côté, trois jeunes conscrits du 1er régiment ont été blessés, et le lieutenant Gérin, commandant l’artillerie de marine, a reçu deux coups de feu dont il est dangereusement blessé.
    « Le général commandant la huitième division militaire,
    « FÉLIX DUPUY. »