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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/858

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REVUE DES DEUX MONDES.

III.

Nous avons rapporté avec quelque étendue ce que les historiens nous ont transmis de Boëce. Comme je l’ai déjà dit, sa vie est plus célèbre que connue, et le peu que nous en savons doit être recherché çà et là dans ses ouvrages. J’ai voulu d’ailleurs traiter avec détail ce qui se rattache à ce que les historiens du moyen-âge ont appelé la cruauté de Théodoric. Or, la condamnation et la mort de Boëce sont les seuls faits sur lesquels puisse s’appuyer cette accusation. Là, toutefois, ne s’est point arrêté le zèle des écrivains du moyen-âge contre le monarque arien. Ils ont voulu faire un persécuteur du prince dont ils avaient fait un tyran. À les entendre, Boëce n’a pas été seulement une victime innocente, il fut un martyr, victime de sa foi, sacrifié pour sa fidélité à la religion catholique. — Théodoric a été une sorte de Néron qui a dirigé au commencement du VIe siècle une nouvelle et sanglante persécution contre l’église catholique. Disons nettement qu’il ne se passa rien de pareil : la différence des religions avait été, sans doute, une des causes premières de la conspiration, mais la répression resta purement politique. Les Romains pouvaient bien conspirer contre Théodoric parce qu’il était arien, mais certainement Théodoric ne poursuivait pas les Romains parce qu’ils étaient catholiques. Est-il sûr d’ailleurs que Boëce fût un catholique bien convaincu ? Certes on peut en douter lorsqu’en lisant le traité de la Consolation, on n’y découvre nul appel, nulle invocation aux croyances et aux sentimens que la persécution aurait dû exalter. Le citoyen confessait glorieusement son amour pour la patrie ; comment le catholique eût-il hésité à confesser aussi la foi pour laquelle il allait mourir ?

Quant à faire de Théodoric un persécuteur, l’impossibilité est manifeste ; il manquait de cette foi qui, selon les natures, produit les martyrs ou les persécuteurs. Jamais homme, dans ces temps où la religion jouait un si grand rôle, ne poussa à un aussi extrême degré la tolérance religieuse. Son esprit ne l’avait pas acceptée uniquement comme un moyen de transaction, comme un point de ralliement entre les deux religions opposées ; non, c’était bien la tendance et la disposition naturelle de son ame, c’en était la substance même. Son histoire en offre de remarquables exemples. Il s’entourait également de catholiques et d’ariens ; aucune conversion n’eut lieu dans les trente-trois années de son règne ; non-seulement il maintint égale la balance entre ses sujets des deux religions, mais il s’attira même leurs accusations unanimes par la tolérance qu’il leur imposa à l’égard des Juifs, méprisés alors par toutes les églises chrétiennes. Voici ce qu’il écrivait aux Juifs de Gênes : « Nous faisons plein droit à votre requête pour la restauration de