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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/903

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avait été arrachée. Du reste, l’Égypte n’est pas le seul pays où a fleuri et où fleurit encore cette étrange industrie des psylles. Il en est parlé dans l’Écriture, dans Virgile et dans Grégoire de Tours. Un des ordres religieux musulmans de l’Algérie, celui d’Aissoua, se compose en, grande partie de jongleurs qui jouent avec les serpens. On a vu des enfans de cette secte manger des scorpions. Il en est de même des sorciers birmans : ils paraissent en public avec des serpens à leurs mains et entortillés à leur col ; ils les font battre entre eux et s’en laissent mordre ; ils les mettent dans leur bouche. L’excès même de cette audace prouve qu’elle n’est qu’apparente, et que les nouveaux psylles ont mis d’avance leurs ennemis hors d’état de leur nuire. Probablement les anciens en faisaient autant.

Bien que cherchant surtout en Égypte le passé et le passé le plus reculé, je ne saurais fermer les yeux au présent, et il ne m’est point indifférent de rencontrer au Caire plusieurs compatriotes avec lesquels je puis tour à tour m’entretenir des antiquités égyptiennes ou les oublier agréablement. On conviendra qu’il y a plaisir à trouver chaque soir dans une ville d’Orient une conversation européenne qu’on rechercherait partout. Partout on serait heureux de rencontrer M. Perron ; j’en dirai autant de M. Linant, qui est à la tête des travaux publics et l’un des hommes qui connaissent le mieux l’Égypte. Il visitait les ruines de Méroé presque au moment où un autre de nos compatriotes, M. Caillaud, venait de les retrouver dans sa curieuse et courageuse expédition en Abyssinie.

Linant-Bey est un homme d’un esprit vif. Son air est ouvert et décidé, ses manières sont franches et cordiales ; on peut l’interroger sur tout ce qui concerne l’Égypte ; le soir, il est très agréable d’aller prendre place sur son divan, et, en fumant un excellent narguilé, de converser avec Mme Linant, qui, toute blanche dans son costume demi-oriental et assise sur des carreaux de pourpre, fait en français les honneurs de son salon arabe avec la grace paresseuse des Levantines.

M. Linant m’a beaucoup parlé du canal entre les deux mers, projet sur lequel il a écrit un mémoire approfondi. L’entreprise serait grande et nouvelle. Les deux mers n’ont jamais été réunies directement ; anciennement elles communiquaient au moyen d’un canal qui de la mer Rouge venait aboutir au Nil. L’origine de ce canal a été sans raison attribuée à Sésostris. M. Letronne a prouvé qu’elle ne remonte pas au-delà du temps où l’Égypte entra en rapport avec la Grèce[1]. Selon lui, l’idée en fut suggérée au roi d’Égypte Néchos par les tentatives un peu antérieures des Grecs pour percer l’isthme de Corinthe. Le canal, qui

  1. Voyez, dans la Revue des Deux Mondes du 15 juillet 1841, le Canal de jonction des deux mers sous les Grecs, les Romains et les Arabes.