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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/913

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Ce nom veut dire jardin, et, en effet, c’est un jardin charmant[1]. On y voit un grand nombre d’arbres exotiques, et je préfère beaucoup ce beau lieu aux jardins trop vantés de Choubrah, avec leurs plantations régulières, leurs allées cailloutées et leurs kiosques, dont l’ameublement est à demi européen. Ce n’est guère plus oriental que le sérail de Constantinople.

Cette prédilection pour le jardin de l’île de Rhodah m’a peut-être été inspirée en partie par la bonne fortune que j’ai eue d’y rencontrer un sarcophage égyptien avec des hiéroglyphes. J’ai recueilli quelques signes qui m’étaient inconnus, et j’ai retrouvé un titre remarquable, celui de fille royale, donné à une femme qui appartenait à une condition privée. J’avais déjà remarqué sur un monument funèbre du musée de Naples une qualification semblable, fils royal, appliquée à un simple particulier. A quoi peut tenir ce singulier usage, qui rappelle le titre de cousin donné aux ducs par nos rois ?

L’île de Rhodah renferme un monument curieux, le fameux nilomètre ou Mekyas. Un nilomètre est une colonne graduée qui indique la hauteur des eaux du Nil. Celui-ci a été élevé par les Arabes, mais il avait été devancé par les nilomètres égyptiens. C’était d’après la hauteur atteinte chaque année par le Nil qu’on fixait la cote des impôts. Pour que l’année fût bonne, il fallait que l’inondation atteignît seize coudées ; c’est pour cela que seize petits enfans jouent autour de la statue du Nil qui est au Vatican et dont on peut voir une copie dans le jardin des Tuileries.

Une question importante et encore controversée se rattache au nilomètre de l’île de Rhodah : c’est l’origine de l’ogive et de l’architecture que nous appelons si mal à propos gothique. D’abord il faut dédoubler la question pour tenter de la résoudre. Autre chose est l’ogive isolée, autre chose est l’architecture gothique caractérisée par l’ogive, il est vrai, mais aussi par des proportions, une ornementation particulière. De tout temps, il y a eu des arcs pointus qu’on peut appeler des ogives ; il y en a, dit-on, à Persépolis, il y en a à Thèbes ; j’en ai vu dans les murs pélasgiques de Tirinthe et dans une porte de Tusculum ; mais tous ces monumens n’appartiennent point à l’architecture gothique. L’architecture gothique est un ensemble dont l’ogive n’est qu’une partie[2]. Ainsi cette question : Comment et en quel pays est née l’architecture

  1. L’île de Rhodah fut de tout temps le but de la promenade des habitans du Caire. On voit un personnage des Mille et une Nuits y emmener ses camarades les cuisiniers et les charpentiers, et y passer un mois à boire, à manger, à entendre de la musique.
  2. Cette distinction qu’on a souvent négligée a été faite par M. Vitet, avec cette précision élégante qui le distingue, dans son histoire de l’église de Noyon, qui est une histoire de l’architecture du moyen-âge. — Notre-Dame de Noyon, dans les livraisons de la Revue du 15 décembre 1844 et du 1er janvier 1845.