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IV. – CAILLOUX STRIES PAR LES GLACIERS ACTUELS.

Transportés lentement à la surface du glacier, tous les blocs des moraines superficielles et terminales conservent leurs formes originelles. Les arêtes de ces blocs sont vives, les angles aigus comme au moment où ils sont tombés sur la glace. Ils ne présentent pas ces traces d’usure et de frottement qu’on observe sur les pierres roulées et arrondies par l’action des eaux. On peut en détacher de jolis groupes de cristaux aussi intacts que dans leur gîte primitif, car, sauf la première chute qui les a précipitées sur le glacier, ces masses n’ont été soumises à aucune violence. Les agens atmosphériques peuvent seuls les démolir ou les dégrader ; aussi les blocs composés de roches dures et résistantes conservent-ils souvent les dimensions colossales dont nous avons parlé.

Il n’en est pas de même des fragmens qui ne font point partie des moraines superficielles. Les parois latérales du glacier ne sont point en contact immédiat avec les flancs de la vallée ; il existe presque toujours un petit intervalle entre eux. Nombre de blocs et de débris s’engagent entre ce mur de glace et les rochers qu’il polit. Quelques-uns restent suspendus dans cet intervalle ; d’autres gagnent peu à peu la surface inférieure du glacier et forment la moraine profonde. À ces blocs viennent s’ajouter une partie de ceux qui tombent dans les nombreuses crevasses et les puits[1] si redoutés des voyageurs novices. Tous ces débris, enclavés entre la roche et le glacier, pressés, broyés, triturés par ce laminoir sans cesse en action, ne conservent pas les dimensions qu’ils avaient en se détachant des montagnes. La plupart se réduisent en un limon impalpable qui, mêlé à l’eau qui découle du glacier, forme la couche de boue sur laquelle il repose. Les autres conservent les traces indélébiles de la pression à laquelle ils ont été soumis. Tous leurs angles s’émoussent, toutes leurs arêtes s’effacent, et ils prennent la forme de cailloux arrondis ou présentent des facettes inégales résultant d’un frottement prolongé. Si la roche est tendre comme les calcaires, alors non-seulement le caillou est arrondi, mais il offre une foule de stries entre-croisées dans tous les sens. Ces cailloux striés ont une grande importance pour l’étude de l’ancienne extension des glaciers ; ce sont des médailles frustes dont la présence accuse d’une manière presque certaine l’existence antérieure d’un glacier disparu. En effet, le glacier seul a le pouvoir de façonner, d’user et de strier ainsi ces cailloux. L’eau les polit et les arrondit, mais elle ne les strie pas. Il y a plus, elle efface les stries burinées par les glaciers. On peut vérifier ce fait au pied de

  1. Un de ces puits, mesuré par MM. Dollfus, Otz et moi sur le glacier de l’Aar, avait 58 mètres de profondeur. Sur le glacier du Finsteraar, M. Desor en a sondé un autre et n’a trouvé le fond qu’à 232 mètres au-dessous de la surface.