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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/937

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avec celles qu’on retrouve dans le voisinage des glaciers actuels. Je choisis pour exemple les glaciers du Mont-Blanc, qui jadis remplissaient toute la vallée de l’Arve et s’étendaient depuis Chamonix jusqu’à Genève.

Transportons-nous au Montanvert, à 850 mètres au-dessus du village de Chamonix. La Mer de Glace est à nos pieds ; elle descend des vastes cirques du Jardin et de l’aiguille du Géant. Sans être de hardis montagnards, nous pouvons franchir les Ponts, traverser la moraine latérale gauche et nous avancer jusqu’au promontoire de l’Angle. Toute la surface de ce promontoire est polie et striée au-dessus comme au-dessous de la surface du glacier. On peut s’en assurer en plongeant le regard entre la glace et la paroi de granite. Si nous poussons cet examen plus loin, nous verrons que les roches sont polies et striées jusqu’à une grande hauteur, et que les traces de l’action du glacier ne s’arrêtent qu’au pied des hautes aiguilles qui le dominent. Or, les stries que la glace a burinées sous nos yeux étant identiques à celles qui sont à 300 mètres au-dessus de notre tête, nous sommes en droit d’en conclure que l’épaisseur du glacier ou sa puissance, pour parler la langue des géologues, était jadis plus grande qu’elle ne l’est aujourd’hui ; mais, si sa puissance était plus grande, sa longueur l’était aussi, car il existe une relation nécessaire entre les trois dimensions d’un glacier. Ainsi donc la moraine terminale, au lieu d’être au hameau des Bois, à 3 kilomètres en amont de Chamonix, se trouvait alors beaucoup plus loin. On voit que, sans quitter la surface du glacier actuel, on peut acquérir déjà la certitude que son étendue était autrefois plus considérable que de nos jours. Les autres preuves ne nous manqueront pas.

Au lieu de s’arrêter, comme le glacier, au pied de la montagne du Chapeau, la moraine latérale droite se prolonge sous la forme d’une digue immense qui barre la vallée de Chamonix et porte le hameau de Lavangi. L’Arve s’est frayé un étroit passage entre cette digue et le revers septentrional de la vallée. Pour tracer la route, on a été obligé d’entamer cette levée naturelle, et ce travail a permis de s’assurer qu’elle se compose de sable, de cailloux et de gros blocs anguleux entassés confusément les uns sur les autres comme dans les moraines actuelles. L’un de ces blocs, placé sur la crête, est connu sous le nom de Pierre de Lisboli. Cette digue est l’ancienne moraine latérale de la Mer de Glace ; mais la forêt qui la recouvre prouve que depuis long-temps la surface du glacier s’est abaissée au niveau où nous la voyons actuellement. Déjà de Saussure[1] avait reconnu l’existence de cette ancienne moraine, qui se révèle avec une évidence que ne sauraient nier les esprits les plus prévenus. Elle s’étend en remontant la vallée jusqu’au

  1. Voyage dans les Alpes, § 623.