Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/984

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trancha le rocher avec sa bonne épée Durandal, de telle façon qu’il en porte encore les traces aujourd’hui ;

C’est dans cette vallée, dis-je, au fond d’une sombre crevasse défendue par un épais buisson de pins sauvages, qu’est cachée à tous les yeux la caverne d’Atta Troll.

C’est là qu’au sein de sa famille il se repose des fatigues de sa fuite et des tribulations de sa vie errante.

Bonheur de se revoir ! il a retrouvé, dans sa chère caverne, les petits que Mumma lui a donnés, quatre fils et deux filles ;

Deux jeunes oursines bien léchées, blondes comme des filles de ministres protestans. Les garçons sont bruns ; le plus jeune, qui n’a qu’une oreille, est presque noir.

Celui-là était le Benjamin de sa mère. Un jour, en jouant, elle lui a mangé une oreille, mais par pure affection.

C’est un enfant plein de moyens, surtout pour la gymnastique. Il fait la culbute aussi bien que le professeur Massman à Berlin.

Comme le professeur Massman à Berlin, il n’aime que sa langue maternelle. Jamais il ne voulut mordre au jargon des Grecs et des Romains.

Ourson fier de sa nationalité, il a une sainte horreur des parfumeries françaises. Il dédaigne le savon, ce luxe de toilette moderne, toujours comme le professeur Massman à Berlin.

Mais là où il faut le voir déployer ses talens, c’est lorsqu’il grimpe sur l’arbre qui s’élève le long du rocher à pic du fond du précipice,

Jusqu’au sommet où, le soir, toute la famille se rassemble autour du père pour s’ébattre dans la fraîcheur du crépuscule.

C’est alors que le vieux Troll aime à raconter ce qu’il a vécu dans le monde, combien il a vu d’hommes et de villes et combien il a souffert,

Ainsi que le fils de Laërte, avec cette petite différence que lui, du moins, était accompagné dans ses épreuves par sa femme, sa noire Pénélope.

Aujourd’hui Atta Troll raconte aussi les immenses succès qu’il a eus jadis auprès des hommes avec sa danse.

Il affirme que jeunes et vieux l’admiraient avec acclamations quand il dansait sur les places publiques aux doux sons de la musette.

A l’entendre, surtout les dames, ces délicats connaisseurs, l’auraient applaudi avec fureur et lui auraient lancé des œillades assassines.

O vanité de l’artiste ! le vieil ours danseur pense avec une joie mêlée de regrets au temps où le public admirait son talent !

Enthousiasmé par ces souvenirs, il veut donner la preuve qu’il n’est pas un misérable vantard, qu’il a été réellement grand par la danse.

Et soudain il se lève, se pose sur ses pattes de derrière, et, comme autrefois, le voilà qui se met à danser la gavotte sa danse favorite.