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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/1006

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vos lèvres et que mon oreille ne peut entendre. Indulgente ou sévère, je vous bénis, car toute ma vie est en vous et je vous appartiens tout entier. Aussi Laure a pâli plus d’une fois en voyant Pétrarque s’éloigner. Quoique ses yeux n’aient jamais rien promis, elle ne se rappelait pas sans émotion, sans attendrissement, les regards ardens qu’elle avait rencontrés. Jamais l’aveu de son attendrissement ne s’est échappé de sa bouche ; mais cet aveu n’avait pas besoin de paroles pour arriver jusqu’au cœur de son amant. En pâlissant, Laure avait trahi son secret. Cette pensée aurait dû être pour lui une source de joie et de bonheur ; car un sourire, une parole affectueuse, un serrement de main de la part d’une femme sévère pour elle-même, esclave résignée de son devoir, ont plus de prix que la possession d’une femme qui n’a pour elle que la jeunesse et la beauté. Mais le cœur de l’homme le mieux fait pour aimer, pour inspirer l’amour, est un abîme d’ingratitude ; au lieu de remercier le ciel des bienfaits qui lui sont accordés, il ne songe qu’à s’affliger, à s’irriter des obstacles qui le séparent du bonheur rêvé. L’avidité, l’ambition, étouffent la reconnaissance. Laure devint mère onze fois, et neuf de ses enfans lui survécurent. Cette maternité féconde était pour Pétrarque un éternel sujet d’affliction, une torture sans fin. Chaque fois qu’il voyait s’accroître la famille de Laure, sa jalousie, un instant assoupie, se réveillait plus furieuse, plus ardente que jamais. Alors il se prenait à douter du témoignage de ses yeux ; cette pâleur dont la vue l’avait enivré lui apparaissait comme un rêve indigne d’arrêter un instant son attention. Il se disait qu’il avait été bien fou d’accepter comme une preuve d’amour ce trouble où peut-être il n’était pour rien. Il s’accusait d’ineptie, d’aveuglement ; il maudissait sa crédulité, niait résolûment tous ses souvenirs, et cette protestation obstinée contre l’évidence imposait silence pour un instant à sa jalousie ; ne se croyant plus aimé, il se promettait de contempler d’un œil indifférent cette famille, chaque année plus nombreuse, qui avait allumé dans son cœur une rage si désespérée, qui lui avait coûté tant de larmes brûlantes. Bientôt cependant l’évidence reprenait ses droits ; il rassemblait ses souvenirs, il passait en revue toutes les preuves muettes, tous les témoignages silencieux d’affection que Laure lui avait donnés, et la certitude d’être aimé ranimait toute sa jalousie.

La douleur de Pétrarque fut profonde. Convaincu de la folie de ses premières espérances, il voulut voyager, et crut, dans l’ingénuité de son cœur, que les voyages le guériraient, que l’image de la femme aimée pâlirait peu à peu, et peut-être un jour finirait par s’effacer de sa mémoire. Vains efforts, inutile diversion, tentative impuissante ! son amour le suivait partout, il marchait avec lui, il faisait partie de lui-même. Au milieu des forêts, au bord des fleuves, sous le soleil brûlant de midi ou vers la fin du jour, quand le crépuscule calme et serein