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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/1011

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pareil hommage, et pourtant il est permis de douter que la joie de Pétrarque fût vraiment complète. S’il avait souhaité la gloire, s’il l’avait conquise, ce n’était pas pour la gloire elle-même : c’était pour que Laure tressaillît de joie et d’orgueil en contemplant le laurier posé sur le front de son amant. Cette espérance ne serait-elle pas déçue ? La gloire obtiendrait-elle ce que l’amour n’avait pas su obtenir ? Cette pensée dut se présenter à l’esprit de Pétrarque à l’heure même où il franchissait les degrés du Capitole pour recevoir la couronne poétique. La gloire la plus éclatante peut-elle contenter, peut-elle apaiser un cœur agité par l’amour ? La gloire est une distraction et parfois une trêve à la souffrance ; mais, pour un homme dominé par une affection ardente, le bruit qui se fait autour de son nom, les témoignages publics d’admiration prodigués à ses ouvrages ne sauraient effacer le souvenir de la femme préférée. Quand une femme est détrônée par la gloire dans le cœur de son amant, elle peut se plaindre, elle peut s’étonner, elle peut souffrir dans son orgueil humilié ; elle n’a vraiment rien à regretter : le cœur qui lui échappe ne valait pas la peine d’être disputé. La gloire est une épreuve dangereuse, une épreuve décisive ; les cœurs qui la subissent victorieusement, qui résistent aux applaudissemens, à l’enivrement de la foule, méritent seuls un souvenir éploré. La gloire, digne récompense du génie, mais impuissante pour le bonheur, n’effaça pas l’image adorée dans le cœur de Pétrarque ; l’amour demeura tout entier, et, pendant les sept années qui s’écoulèrent entre le couronnement du poète et la mort de Laure, il fut toujours aussi ardent, aussi absolu.

Comme la passion de Pétrarque est le principal événement de sa vie, comme ses voyages, ses travaux, sa renommée, se rattachent à cette passion, j’ai négligé à dessein de raconter tous les incidens dont se compose sa biographie, et jusqu’ici j’ai limité ma tâche à l’analyse de cette passion. Cette méthode, qui peut, au premier aspect, sembler singulière, n’est pas, je crois, sans avantage lorsqu’il s’agit d’un homme tel que Pétrarque, dont le cœur a gouverné l’esprit et la volonté. Maintenant, en effet, l’homme nous est connu, nous le savons tout entier ; tous ses désirs, toutes ses souffrances ont passé sous nos yeux. L’homme ainsi étudié nous explique le poète, et nous pouvons ouvrir avec confiance le Canzoniere où Pétrarque a déposé la meilleure partie de lui-même.

On a fait aux sonnets de Pétrarque un reproche très grave et qui ne manque pas de justesse, pourvu qu’on ne l’applique pas d’une façon absolue à l’ensemble de ces compositions ; on a dit qu’ils manquent de simplicité. Cette accusation, je le reconnais, est fondée sur le bon sens, sur l’évidence ; seulement il ne faut pas la généraliser, car la moitié au moins dès sonnets du Canzoniere offre toute la simplicité, toute la clarté,