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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/1016

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sujet semble devoir s’épuiser si rapidement, une élévation et en même temps une variété qui excitent à bon droit une admiration générale. Je ne pense pas, comme la plupart des critiques italiens, qu’il n’y ait absolument rien à reprendre dans les Trois Sœurs ; je crois qu’il est permis, sans se rendre coupable d’irrévérence envers le génie, de blâmer certaines images, certaines comparaisons qui n’ajoutent rien à la valeur du sentiment exprimé, et qui ont le défaut de ressembler à de purs jeux. Ces taches, nous devons le dire, sont en bien petit nombre et n’altèrent pas le mérite de ces belles odes. C’est dans la première des trois que se fait jour la pensée du suicide. Après avoir parlé de son ravissement et de ses souffrances, le poète laisse éclater son désespoir. Il se dit qu’après tant de plaintes et de soupirs inutiles, après tant de vœux, tant de prières emportées par le vent, il vaudrait mieux peut-être sortir de sa prison, reconquérir sa liberté par une résolution énergique, et il nomme très clairement la mort volontaire comme l’unique moyen de délivrance ; mais la crainte d’un châtiment sévère dans une autre vie, la foi chrétienne en un mot, impose silence à ce terrible conseil de la douleur. Le poète revient au sujet difficile qu’il a choisi, aux yeux de Laure, qu’il ne sait comment célébrer dignement. Et pourtant, tout en accusant l’insuffisance ou plutôt l’impuissance de la parole, tout en demandant pardon pour sa témérité, il célèbre les yeux de Laure avec un enthousiasme, une ferveur, qui tiennent à la fois de la dévotion et de l’amour. Dans la seconde canzone, il envisage les yeux de Laure sous un aspect purement moral. En regardant les yeux de la femme qu’il aime, il s’élève jusqu’à la contemplation du ciel. C’est elle qui l’encourage, c’est elle qui lui donne la passion du bien, la passion du beau ; c’est dans ses yeux qu’il lit la règle de sa vie ; c’est pour lui plaire, pour être digne d’elle, qu’il combat toute mauvaise pensée, qu’il se résout à la pratique des vertus les plus difficiles. Il n’y a pas dans cette seconde canzone un seul vers qui rappelle l’ardeur des sens ; tout y respire la résignation et le dévouement mystique. Dans la troisième enfin, essayant une dernière fois l’éloge des yeux de Laure, qu’il ne croit jamais pouvoir célébrer en termes assez magnifiques, il les chante comme la source unique de tout bien et de toute joie. S’il est devenu quelque chose, si son nom est répété de bouche en bouche, s’il est arrivé à la science par l’étude, si la gloire a mis sur son front une couronne éclatante, c’est aux yeux de Laure qu’il doit, c’est aux yeux de Laure qu’il rapporte son savoir, sa vertu, sa renommée. Quelle femme a jamais été louée plus éloquemment ? Quel poète a jamais trouvé pour l’objet de son amour des paroles plus pures et plus ferventes ?

L’amour, qui a tenu tant de place dans la vie de Pétrarque, ne l’a pourtant pas remplie tout entière. Les sentimens patriotiques de cette ame