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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/1018

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parmi vous et qui vous dévorent sont de la race à qui Marius ouvrit le flanc, et la mémoire de cette œuvre n’est pas encore éteinte ; et, quand le vainqueur haletant voulut se désaltérer, il but dans le fleuve autant de sang que d’eau. Et vous souffrez que cette race vous surpasse en intelligence et répande à flots votre sang, cette race que Dieu avait faite pour vous obéir, et qui maintenant se nourrit de vos discordes ! Ne voyez-vous pas les larmes, n’entendez-vous pas les plaintes du peuple qui vous implore ? Au nom de Dieu, laissez-vous émouvoir ! C’est de vous seul, après Dieu, que le peuple attend son repos. Donnez-lui seulement un témoignage de pitié ; la vertu prendra les armes contre la fureur, et le combat sera court. Voyez comme le temps vole ; la vie s’enfuit et la mort est sur nos épaules. Maintenant vous êtes ici, pensez au départ, car il faut que l’ame, seule et nue, arrive au passage douteux de l’éternité. Au moment de franchir cette vallée, déposez donc la haine et la colère, vents contraires à la vie sereine. Le temps que vous dépensez pour le tourment d’autrui, employez-le à quelque action plus digne, faites quelque belle et grande chose ; ainsi vous jouirez ici-bas, et la route du ciel vous sera ouverte. »

Cette rapide analyse suffit pour montrer toute l’élévation, toute la grandeur de la canzone adressée aux princes d’Italie. La canzone sur la gloire rappelle par le ton et par le fond des pensées les Trois Sœurs, et en particulier la seconde. Le poète s’est épris de la gloire parce qu’elle lui montrera la route de la vertu ; tel est le thème que Pétrarque essaie de développer. C’est par amour de la gloire qu’il a entrepris une œuvre longue et difficile, et, s’il arrive au port désiré, il espère vivre encore long-temps quand on le tiendra pour mort. « Rarement, lui dit la Gloire, il s’est rencontré un homme qui, entendant parler de moi, ne sentît en son cœur une étincelle, pour quelque temps au moins ; mais mon ennemie, qui trouble le bien, éteint vite cette étincelle. Toute vertu meurt, et le pouvoir appartient à un autre maître qui promet une vie plus tranquille. L’amour, qui le premier pénétra dans ton ame, m’en a dit des choses d’après lesquelles je vois que l’ardeur de ton désir te rendra digne d’atteindre un but honorable ; et comme tu es déjà au nombre de mes plus chers amis, pour te le prouver, je te montrerai une femme qui donnera à tes yeux plus de bonheur que je ne saurais le faire. Lève la tête, et regarde cette femme qui s’est montrée à bien peu d’hommes. — Je baissai le front en rougissant, continue le poète, je sentais en moi une flamme plus ardente. La Gloire me dit en souriant : Je sais bien ce que tu penses. De même que le soleil avec ses puissans rayons fait sur-le-champ disparaître toute autre étoile, ainsi ma vue te paraît maintenant moins belle, parce qu’une lumière plus éclatante m’efface. Pourtant je te compte toujours au nombre des miens ;