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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/1024

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réunissait tous les dons précieux dont il s’est plu à l’orner, elle pouvait sans danger subir l’épreuve des années. Pétrarque eût-il chanté sa joie comme il a chanté ses souffrances ? Si la douleur est féconde, le bonheur n’a-t-il pas inspiré au génie des hymnes éloquens ? La reconnaissance n’offre-t-elle pas à l’imagination du poète autant de ressources que la plainte ? J’aime à penser que Pétrarque eût trouvé dans le bonheur un thème poétique d’une richesse inépuisable. Et puis, s’il n’eût pas été condamné à une plainte éternelle, peut-être se fût-il abstenu de toutes les combinaisons exclusivement ingénieuses, de toutes les allusions mythologiques, de tous les enfantillages laborieux par lesquels il cherchait à tromper sa douleur ; peut-être les taches que le goût signale dans le Canzoniere ne blesseraient-elles pas nos yeux, si le poète, au lieu de supplier, au lieu d’adresser à la femme qu’il aimait des prières qui ne devaient jamais être exaucées, lui eût adressé des actions de graces. Le contentement donne à l’esprit l’instinct de la clarté ; la douleur, en troublant toutes nos facultés, nous pousse à notre insu vers les images ambitieuses, vers les comparaisons bizarres. Quelle que soit, d’ailleurs, la valeur de ces conjectures, le Canzoniere restera comme un des monumens les plus parfaits que le génie humain ait consacrés à l’expression de l’amour.


GUSTAVE PLANCHE.