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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/1028

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chose de plus agréable encore ; sa physionomie respire la franchise et la confiance dans les autres comme en lui-même. Moins savant que Najaf, il admire sur parole les beaux vers de son docte frère, et déclare qu’il ne désire que quatre choses au monde : un bon cheval, une bonne épée, une taille de cyprès et une cruche de vin. Timour est en effet grand guerrier, grand cavalier, grand chasseur, non pas à la manière des fox hunters de Londres. La chasse en Perse est presque une bataille ; on y conduit trois ou quatre mille hommes, comme au temps de Cyrus. On a vu dans une chasse royale Timour, à l’âge de dix-sept ans, se lancer témérairement avant tous les autres et se trouver face à face avec un superbe lion qui, le prenant de flanc, enfonçait déjà ses griffes dans la cuisse de l’intrépide jeune homme. Lui, se retournant froidement, le tua d’un seul coup de cimeterre, et rapporta aux pieds du châh la tête sanglante de son ennemi. Tels sont les trois voyageurs qui s’embarquèrent à Beyrouth, sur le navire à vapeur l’Africain, le 22 avril 1836.

Deux ans plus tard, le 29 mars 1838, le navire anglais le Buckinghamshire quittait le port de Bombay, ayant à bord, entre autres passagers, deux jeunes gens, l’un fils, l’autre neveu de l’architecte en chef des constructions navales de cette ville. Tous deux appartenaient à la secte religieuse des parsis, ces disciples de Zoroastre, ces adorateurs du feu, qui, chassés pour la plupart de la Perse par l’invasion du mahométisme, refluèrent dans l’Inde et spécialement dans le Guzarate. Race paisible et laborieuse, ils s’adonnent spécialement à l’agriculture et au commerce. Les Anglais n’ont pas dans l’Indostan de plus zélés serviteurs ni de sujets plus dévoués. Depuis plus d’un siècle, la famille des deux jeunes parsis dirige de père en fils l’arsenal maritime de Bombay ; elle y a construit, outre plusieurs frégates et petits bâtimens, dix vaisseaux de ligne de soixante-quatorze, de quatre-vingt-quatre canons, « qui sont reconnus, nous dit le constructeur lui-même, pour les plus beaux et les plus forts vaisseaux à deux ponts qui soient au monde. » Cependant le génie turbulent des Européens vient un jour déranger les tranquilles habitudes de l’esprit de caste et rendre insuffisantes les meilleures traditions de famille. L’architecte en chef entend parler des rapides progrès que fait « la gigantesque vapeur ; » on dit qu’elle ne se borne plus à la navigation intérieure et au cabotage, mais que des vaisseaux à vapeur d’un immense tonnage vont traverser l’Atlantique et être armés en guerre. Ses amis l’avertissent qu’une ère nouvelle va commencer, et qu’il importe d’étudier la puissance inconnue qui doit la remplir. Il se résout à envoyer en Europe ses deux jeunes et studieux élèves, destinés, selon toute apparence, à le remplacer un jour, comme la vapeur doit succéder à la voile. Noroji et Merouanji partent donc, non pas tant pour l’Angleterre que pour ses chantiers de construction :