Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/1030

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

restauration impossible, ni un constructeur de Bombay qui veut compléter ses études et retourner au plus vite dans son arsenal ; c’est l’élève et presque le fils adoptif des résidens anglais de Delhi. Issu d’une noble famille, descendu, s’il en faut croire un auguste témoignage[1], de la race des princes de Cachemire, le jeune fils de Ra-Boudh-Singh reçut d’abord chez son père l’éducation ordinaire des Persans. Il fut ensuite présenté à M. Trevelyan, secrétaire du gouverneur-général de l’Inde, qui lui donna lui-même quelques leçons et le fit admettre dans la classe anglaise annexée au collége persan de Delhi. On ne comptait encore dans cette classe que six élèves ; c’était une institution ou plutôt une tentative nouvelle : les lettrés de Delhi s’en moquaient ; plusieurs résidens européens faisaient de prudentes objections. Cinq ans se sont écoulés depuis cette époque, et le nombre des jeunes indigènes qui suivent le cours des études anglaises est aujourd’hui d’au moins trois cents. La classe annexée est devenue un collége distinct, et même un seul collége ne suffit plus : la noblesse songe à en établir un second à son usage. Dans l’Inde moderne, comme dans la Bretagne de Tacite, les peuples barbares qui naguère repoussaient la langue des envahisseurs ambitionnent aujourd’hui leur éloquence. Pour apprécier toute l’importance de ce changement, il faut songer que Delhi semblait offrir le terrain le plus ingrat à cette culture étrangère : c’était, dans cette partie de l’Orient, le plus ferme rempart des traditions musulmanes, qui, protégées par l’autorité du roi, défendues par le bataillon compacte des maulavis et des hakims (théologiens et médecins), perpétuées par des cérémonies publiques et par de nombreuses mosquées, paraissaient devoir braver à jamais toutes les tentatives de rénovation, Ce premier succès, si peu probable, ouvre la carrière à toutes les espérances des philanthropes et à toute l’ambition des anglais.

Le nom de Mohan Lal se rattachera à cette grande révolution morale qui s’accomplit dans l’Inde : le prince cachemirien fut l’un des six élèves fondateurs de l’école anglaise dont nous avons parlé. La rapidité de ses progrès, le tour aimable de son esprit, ne contribuèrent pas peu à faire aimer l’éducation européenne et à en assurer la propagation. Quelques princes de l’Indostan voulurent marcher sur les traces de Mohan Lal ; plusieurs devinrent ses intimes amis, entre autres Sadat Malik, fils du roi de Hérat. Les princes de cette contrée n’ont point de dotation : Sadat

  1. Le roi de Prusse a fait remettre à Mohan Lal son portrait enrichi de diamans et de cette inscription :
    AN
    MOHAN LAL MIRZA,
    AUS DEK STAMME DER FÜRSTEN VON KASCHMIR,
    FRIEDRICH WILHELM IV, KOENIG VON PREUSSEN
    M.DCCC.XLV.