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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/1042

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les impressions du poète par les calculs de l’architecte ? Il ne faut que suivre Noroji et Merouanji devant les mêmes tableaux dont l’effet magique est si vivement rendu par le prince Najaf. Les deux parsis nous apprennent que le Colisée, où le panorama se trouve, est situé au sud-est de Regent-Park, orné d’un portique de style dorique et d’une voûte circulaire qui repose sur un polygone à six faces, occupant une aire de quatre cents pieds ; que l’architecte, M. Decimus Burton, l’a commencé en 1821, fini en 1827 ; que cet édifice a coûté d’immenses sommes et qu’on paie un shilling d’entrée. Une fois en haut, sur la terrasse, ne croyez pas qu’ils s’abandonnent poétiquement à une stérile contemplation. Par une brusque transition, ils retombent sur le solide terrain de l’économie domestique, et trouvent le moyen de nous apprendre comment on peut acheter à bon marché dans les boutiques de Londres. C’est le caractère et le mérite du journal des constructeurs parsis : leurs compatriotes y trouveront une foule de renseignemens utiles sur les hôpitaux, les omnibus, les ports, les machines, le daguerréotype, le ciment romain et mille autres choses encore. Pour nous, qui cherchons d’ordinaire ces informations dans le Guide du Voyageur, de pareils détails sont loin d’offrir le même intérêt.

Najaf et ses deux frères montraient, dans leurs promenades à travers Londres, un esprit moins observateur. Leur curiosité, d’abord très vive, s’émoussait promptement ; l’inquiétude sur le sort de leur famille, la perte de leurs biens, le regret du sol natal, l’influence d’un climat sombre et humide, la difficulté de parler et d’entendre, les rendaient indifférens aux choses les plus dignes d’intérêt. « Ami, disaient-ils à M. Fraser, cela est fort beau sans doute ; mais à quoi nous serviront toutes ces connaissances ? Ne sommes-nous pas de pauvres exilés ? » Aussi passaient-ils une partie de la journée à dormir. A l’heure convenue pour une visite, M. Fraser les trouvait souvent au lit ; il était obligé d’attendre patiemment la fin de leur toilette, et, quand ils étaient prêts à sortir, le temps était passé. Les deux aînés exprimèrent cependant le désir de voir quelques établissemens utiles : on les conduisit à Bedlam, à l’hospice des aliénés, mais ils se fatiguèrent bientôt et demandèrent à s’en aller. Ils ne purent prendre sur eux de visiter entièrement la maison des jeunes détenus. A peine entrés, ils s’ennuyèrent et partirent. Une seule chose dans cet établissement attira l’attention de Timour, ce fut la brasserie. Les trois princes, malgré la différence de leurs caractères, avaient en commun une certaine légèreté d’esprit qui tenait à leur pays et à leur éducation. « C’étaient à peu près, dit M. Fraser, de grands enfans gâtés. »

Il y a long-temps que nous avons laissé derrière nous un de nos compagnons de voyage, le jeune et brillant Cachemirien, l’esquire Mohan Lal. Lui aussi a été frappé à son arrivée du spectacle tumultueux de