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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/1065

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raconte avec amour, avec un enthousiasme que les plus funestes épisodes ne peuvent modérer. La commotion électrique qui a parcouru Paris le 14 juillet est surtout sentie profondément et rendue avec bonheur. Maintenant, en dehors de ces deux grandes scènes, il ne faut rien chercher dans M. Michelet de précis et de continu. L’écrivain saute, au gré de son esprit, d’une idée à une autre, associe les détails les plus disparates, élève des pauvretés, des misères, à la notoriété, à l’importance historique. C’est une assez triste manière d’écrire, de renouveler l’histoire, que d’aller chercher dans des libelles oubliés, dans le coin d’un journal du temps, des anecdotes suspectes, d’invraisemblables calomnies. Nous ne nions pas les droits de l’historien, nous ne méconnaissons pas non plus qu’il a parfois de sévères et tristes devoirs à remplir ; seulement il faut que dans l’accomplissement de son ministère il porte de l’équité, de la modération, et enfin du goût, puisqu’il s’agit d’une œuvre littéraire. Nous avons eu, en plusieurs endroits, le chagrin de chercher inutilement ces qualités dans le livre de M. Michelet, notamment dans ce qu’il a écrit au sujet de la reine Marie-Antoinette, qu’il semble poursuivre avec un rare acharnement. Par quelle bizarre in conséquence le même écrivain entreprend-il la réhabilitation de Théroigne de Méricourt ? Souvent M. Michelet n’a ni pour l’histoire ni pour son propre talent le respect nécessaire. Ne pouvait-il caractériser le cardinal de Rohan que par cette parenthèse : « (Un polisson, mais, après tout, charitable.) » Il semble affectionner cette épithète, car nous la retrouvons au sujet de Camille Desmoulins, qu’il appelle « un polisson de génie, aux plaisanteries mortelles. » Une pareille manière d’écrire, qui transporte dans le style l’abandon familier ou cynique de la conversation, est blâmable à plus d’un titre, car elle dénote chez l’auteur qui se la permet non moins de prétentions que d’impuissance. Il se propose en effet de trancher sur les autres écrivains par l’audace de ses expressions, la bigarrure de ses couleurs, l’allure débraillée de ses phrases ; mais pourquoi plutôt ne pas prouver sa force en acceptant toutes les conditions, en se jouant en maître de toutes les difficultés de l’art d’écrire ? C’est dans l’accord des qualités individuelles avec les lois générales du beau et du bon qu’éclate la véritable originalité.

Transporter dans l’histoire de la révolution française une sorte de fantaisie humoristique qui prend tous les tons, tous les styles, qui veut mêler la plaisanterie d’Aristophane à la sombre énergie de Milton, ce n’est déjà plus chose nouvelle ; Thomas Carlyle l’a fait en Angleterre, et les critiques de la Grande-Bretagne peuvent seuls porter un jugement souverain sur le mérite littéraire de cette entreprise. Nous dirons seulement que ni les forces de M. Michelet ni le rôle qu’il a pris ne lui permettaient guère le même essor et les mêmes hardiesses que l’auteur anglais. Thomas Carlyle ne fait pas le démocrate, il n’identifie la justice et la vérité avec aucune cause et aucun parti, il garde à tous les