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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/1068

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et des morts tragiques, il sera intarissable, déchirant. Enfin, dans la peinture des fureurs populaires, des excès commis par les proconsuls de la révolution, il portera l’horreur à son comble. Il y aura dans ces pages ardentes une accumulation de supplices et de douleurs, une vapeur de sang, un enivrement de carnage, qui exerceront sur les sens éperdus des lecteurs comme une fascination poignante. Qu’on juge si surtout les femmes, les jeunes gens lisant pour la première fois une histoire de la révolution, dévoreront avidement un pareil récit. Que d’émotions ! puis, pour l’écrivain, quel succès ! Il remue toutes les amer, réveille toutes les passions, toutes les controverses. On ne s’aborde plus qu’en se demandant des nouvelles de l’Histoire des Girondins, en se communiquant ses impressions, ses jugemens. Tout a contribué à cette vogue, jusqu’à la rapidité avec laquelle se sont succédé toutes les parties de cette immense improvisation.

Élevée à toute sa puissance, l’imagination a de merveilleux privilèges. Il a suffi à M. de Lamartine de la lecture hâtive des mémoires relatifs à la révolution et de documens inédits tels que des lettres, des correspondances, de quelques entretiens avec des fils de conventionnels ou avec quelques vieillards qui avaient connu Danton et Robespierre, pour écrire en dix-huit mois non pas une histoire, mais un éblouissant ouvrage qu’il est impossible de caractériser d’un mot, car il mêle tous les genres, toutes les prétentions, tous les effets, car il a tour à tour les allures de l’épopée, de la biographie, d’une harangue de tribune, d’une chronique scandaleuse, d’une dissertation philosophique. Devant un aussi étonnant assemblage de beautés littéraires, de paradoxes, d’inexactitudes, de détails charmans, futiles, monstrueux, de déclamations erronées et d’expansions éloquentes, la critique a des devoirs, et elle ne saurait éprouver aucun embarras à les remplir. Elle se sent d’autant plus libre, qu’elle s’adresse à un talent plus puissant ; elle n’a pas affaire ici à une de ces renommées fragiles qui ont besoin de ses ménagemens et de ses réticences.

Dès le début, comment n’être pas frappé des inconvéniens auxquels s’expose un écrivain qui substitue un plan arbitraire au cadre tracé par la nature des choses ? En identifiant l’histoire de la révolution française avec celle d’un parti politique qui n’a parti sur la scène qu’après la constituante, M. de Lamartine se condamnait à rejeter dans l’ombre cette grande assemblée. Cependant il reconnut qu’il lui était impossible de passer entièrement sous silence cette représentation nationale qui a laissé dans nos institutions une trace si profonde. Aussi tout le premier volume se ressent-il de la manière plus dramatique qu’historique avec laquelle l’écrivain a choisi et posé son sujet. Ce sont à chaque moment des retours non-seulement sur la constituante, mais sur ce qui l’a précédée, sur la philosophie du XVIIIe siècle. Ainsi, après la fuite de Varennes, après les efforts de Barnave pour déterminer la constituante à