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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/1075

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21 janvier, tantôt sur les massacres de septembre, une autre fois au sujet du 10 août. Pour écrire l’histoire non-seulement de cette dernière journée, mais celle du 20 juin, M. de Lamartine s’est beaucoup servi d’un document publié par le comte Roederer en 1832, sous le titre de Chronique de cinquante jours, du 20 juin au 10 août 1792. À cette époque, M. Roederer était procureur-syndic du département de Paris ; c’est lui qui, en cette qualité, a conduit Louis XVI à l’assemblée nationale le 10 août. Non-seulement M. de Lamartine a puisé dans cette Chronique les principaux faits de cette orageuse époque, mais il a emprunté au comte Roederer les impressions morales que celui-ci avait reçues aux Tuileries de l’attitude de la reine et du roi. Dans une note, M. Roederer s’exprime ainsi[1] : « Je ne sais sur quel témoignage presque tous les historiens ont prêté à la reine, dans la nuit du 10 août, des paroles et des résolutions d’une exaltation plus qu’héroïque, comme d’avoir dit qu’on la clouerait plutôt aux murs du château que de l’en faire sortir, ou d’avoir présenté au roi des pistolets en l’invitant à se donner la mort. Pour moi, je n’ai rien vu de semblable. La reine, dans cette nuit fatale, n’eut rien de viril, rien d’héroïque, rien d’affecté ni de romanesque ; je ne lui ai vu ni emportement, ni désespoir, ni esprit de vengeance ; elle fut femme, mère, épouse en péril ; elle craignit, elle espéra, s’affligea et se rassura. Elle fut aussi reine et fille de Marie-Thérèse, elle pleura sans gémir, sans soupirer, sans parler. Son inquiétude, sa douleur, furent contenues ou dissimulées pour son rang, pour sa dignité, pour son nom. Quand elle reparut au milieu des courtisans, dans la salle du conseil, après avoir fondu en larmes dans la chambre de Thierry, la rougeur de ses yeux et des joues était dissipée ; elle avait l’air sérieux, mais tranquille et même dégagé. »

Citons maintenant M. de Lamartine[2] : « Marie-Antoinette, que les pamphlets de ses ennemis ont représentée dans cette nuit suprême comme une furie couronnée poussant l’exaltation jusqu’au délire, l’abattement jusqu’aux larmes, tantôt déclarant qu’elle se ferait clouer aux murs de son palais, tantôt présentant des pistolets au roi pour lui conseiller le suicide, n’eut ni ces emportemens ni ces faiblesses. Elle fut avec dignité et avec naturel, sans héroïsme affecté comme sans abattement timide, ce que son sexe, son rang, sa qualité d’épouse, de mère, de reine, voulaient qu’elle fût dans un moment où tous les sentimens que ces titres divers devaient agiter en elle se traduisaient dans son attitude… Elle fut femme, mère, épouse, reine menacée ou atteinte dans ses sentimens. Elle craignit, elle espéra, elle désespéra, elle se rassura tour à tour, mais elle espéra sans ivresse et se découragea sans avilissement. Les forces et les tendresses de son ame furent égales aux

  1. Pages 362-363, Chronique de cinquante jours, etc.
  2. Histoire des Girondins, tome III, page 140.