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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/1115

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de son bon sens, — sterling good sense, — ne s’est pas avisé que la population avant doublé depuis cent ans, et la complication des intérêts s’étant accrue dans des proportions plus considérables encore, il pourrait être sage d’augmenter le nombre des tribunaux et des juges. On en compte douze, pas un de plus, et cela par une excellente raison, c’est qu’il n’y en a jamais eu davantage. Trouvez-vous cette explication insuffisante ? Coke et Blackstone vous répondront qu’il y avait douze tribus d’Israël, une loi des douze tables, et que Jésus-Christ s’est contenté de douze apôtres. Insistez-vous encore ? Un érudit viendra vous raconter, d’après Snorro, l’Hérodote du Nord, que dans le royaume d’Asaheim, au-delà du Tanaïs, alors que la ville d’Asgard obéissait à Odin, les douze prêtres du palais, chargés de sacrifier aux dieux, l’étaient aussi de régler les différends d’homme à homme. Il ajoutera, et Saxo Grammaticus lui a garanti le fait, que l’emploi judiciaire des douze aldermen remonte à Régner Lodbrok, monarque mythe s’il en fut, — que les Rois de Mer composaient leur état-major de douze chefs, — et, ce qui tranche la question, que Charlemagne eut douze pairs.

Voilà justement pourquoi M. Smith, venant à réclamer de M. Johnson, en 1847, l’exécution de quelque clause testamentaire, ne saurait espérer, avant 1859, une première décision, sujette à plus d’un appel.

Et ne croyez pas que ces douze magistrats suprêmes, sur qui pèse le soin de décider, grandes et petites, toutes les questions litigieuses des trois royaumes, soient scrupuleusement choisis parmi les membres les plus valides, les plus actifs du barreau. Nullement. Ce serait mettre la vétusté des institutions en désaccord avec la jeunesse des hommes. On a évité ce contre-sens. Un juste sentiment de l’harmonie administrative fait choisir de préférence les avocats hors d’âge, les jurisconsultes blanchis sous le dossier. La plupart sont élevés au banc des juges lorsqu’une vie laborieuse, trente ans de pratique, et les infirmités qui en sont la suite, sembleraient les condamner au repos. Ils débutent, à demi perclus, presque aveugles, époumonnés, débiles, dans cette pénible carrière où les attire et les retient jusqu’à la mort un traitement considérable, hors de proportion avec les services qu’ils peuvent rendre. Entre leurs mains, la besogne judiciaire s’accumule, les greffes s’emplissent, les ajournemens se prolongent, et l’instance entamée par l’aïeul arrive intacte entre les mains des arrière-petits-enfans.

De tels délais entraînent des frais énormes et constituent un véritable déni de justice pour la grande majorité des citoyens, incapables d’affronter les coûts plus ou moins loyaux d’un procès qui dure vingt ans. C’est ce qu’indiquait nettement une réplique restée fameuse de Horne Tooke à l’un de ses adversaires politiques : « Les tribunaux anglais, lui disait ce dernier, sont ouverts à tout le monde. — Certes, répondit le