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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/1117

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et se distrait rarement, il faudrait désespérer des réformes les plus indispensables ; il faudrait croire à l’éternelle durée de ces institutions judiciaires qui perpétuent au sein de la civilisation britannique les us barbares d’une juridiction surannée, les doctrines incertaines d’une législation incohérente.

En attendant que l’opinion, tardivement éveillée, prête sa force victorieuse aux réorganisateurs de la justice anglaise, le roman, qui, depuis quelques années, aborde volontiers les questions les plus sérieuses, s’est emparé de ces régions obscures, où se commettent tant de forfaits impunis. Il a paru à certains esprits que l’on pouvait, devançant l’œuvre des réformateurs et popularisant les critiques dont les tribunaux anglais sont aujourd’hui l’objet, dénoncer les mille piéges tendus à l’étourderie, à l’ignorance des plaideurs, les trames lentement ourdies autour d’une victime désignée, la rigueur mathématique de ces froides combinaisons qui doivent, au jour fixé d’avance, consommer sa ruine infaillible. Au premier abord, il y a dans les détails de la pratique une sécheresse qui effraie l’imagination ; mais, si vous y regardez de près, si vous savez saisir l’ensemble d’une lutte judiciaire, analyser les passions qu’elle excite, raconter les péripéties qu’elle amène, cette aridité apparente cesse bientôt de vous rebuter. Tel papier timbré peut équivaloir, pour la terreur qu’il inspire, au poignard de la tragédie et du mélodrame. La plaidoirie criarde d’un avocat enroué, ses arguties subtiles et dont vous rirez volontiers si vous les croyez inoffensives, sont tout à coup investies de je ne sais quel intérêt poignant, si elles mettent en péril l’honneur d’un brave homme, l’avenir d’une famille, l’hymen d’une jeune fiancée, l’héritage d’un pauvre enfant sans protecteurs. Bref, sous bien des procès il y a des drames, et des drames au pathétique desquels la réalité ne gâte rien.

Les romanciers étaient donc bien avisés, qui les premiers sont allés chercher des caractères et des situations dans ces antres poudreux de la justice moderne. Walter Scott, greffier d’une cour supérieure, ne pouvait négliger les ressources qu’offre au roman la peinture des mœurs judiciaires. Le jugement si pathétique d’Effie Deans est là pour attester qu’il ne prenait pas toutes ses notes en vue de sa mission officielle. Dans Guy Mannering, le caractère du procureur Glossin, celui de l’avocat Pleydell et la mise en œuvre de cette question d’état si heureusement résolue au profit du jeune Ellangowan, prouvent qu’il comprenait la richesse de cette mine à peine ouverte. Il en a tiré des caricatures admirables, comme celle du voisin Saddletree (Prison d’Édimbourg), ou du vieux juge de paix jacobite (Rob-Boy), et sa connaissance intime de la procédure civile et criminelle, étalée parfois avec un peu trop de complaisance, n’est cependant pas, à nos yeux, le moindre de ses mérites.