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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/1137

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LE BÛCHERON.

I.

Le chêne aux flancs noueux dans l’herbe est couché mort ;
Mais du vieux bûcheron c’est le dernier effort ;
Il pose sa cognée et s’accoude au long manche,
Il se courbe en soufflant, le pied sur une branche ;
Son morceau de pain noir est gagné pour demain ;
Et, s’ essuyant le front du revers de la main :

Triste et rude métier que de porter la hache !
À ce labeur de mort quel dieu m’a condamné ?
Sur tes plus beaux enfans j’ai frappé sans relâche,
Et je t’aime pourtant, forêt où je suis né !

Ton ombre est mon pays, j’y vieillis ; je sais l’âge
Des grands chênes épars sur les coteaux voisins.
Jamais je ne dormis dans les murs d’un village ;
Je ne cueillis jamais le blé ni les raisins.

Ma mère me berça dans la mousse et l’écorce.
J’ai dans un nid pareil vu dormir mes enfans ;
Et, comme moi jadis, fiers de leur jeune force.
Ils grimpaient, tout petits, sur l’arbre que je fends.

J’ai compté de beaux jours, hélas ! et des jours sombres
Que savent tous ces bois complices ou témoins ;
J’ai connu d’autres maux que la faim sous leurs ombres ;
Dans un corps endurci l’ame ne vit pas moins.