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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/173

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posée le député de Marseille. Au surplus, M. Clapier est un avocat distingué qui, dans des matières spéciales, saura prendre sa revanche. Dès que les députés progressistes s’empressaient de renoncer à toute dissidence, la victoire n’était plus douteuse, et c’est à la majorité considérable de 98 voix que la proposition de M. Duvergier de Hauranne a été repoussée.

Quels sont les résultats moraux de cette rencontre parlementaire entre l’opposition et la majorité ? À la fin de son remarquable discours, M. Guizot s’est exprimé ainsi : « Nous ne disons pas et nous ne pensons pas que la loi électorale est parfaite et immuable ; il n’y a pas un homme de sens qui puisse le dire et le penser ; nous n’entendons ni exclure ni engager l’avenir : nous gardons notre pleine liberté. » Ces paroles sont habiles. Avec ce langage et cette attitude, le parti conservateur ne s’enferme pas dans une opposition éternelle à toute réforme électorale ; mais il pense que le moment n’est pas venu, et il est difficile de n’être pas de son avis, quand on compare l’indifférence actuelle du pays à ce sujet avec la vivacité de ses préoccupations sur la question des subsistances et sur le malaise commercial et financier. Seulement les circonstances changeront : le pays n’aura pas toujours la même froideur pour les réformes, et c’est pour le moment où il verra ces questions d’un autre œil qu’il sera de la sagesse du parti conservateur de se tenir prêt. Tôt ou tard, la loi de 1831 subira des modifications : il est naturel que le parti conservateur, dès qu’il les jugera inévitables, veuille les faire lui-même ; nous ne nous étonnons pas qu’il les combatte tant qu’il les estime inopportunes et prématurées. Les choses se pratiquent ainsi dans les gouvernemens libres où les partis sont en présence. En Angleterre, l’émancipation des catholiques n’a pas eu d’adversaires plus décidés que sir Robert Peel et le duc de Wellington, jusqu’au moment où ils ont pris la résolution de l’accomplir eux-mêmes. Cet exemple et d’autres encore ne sauraient être perdus pour le parti conservateur, qui dans l’avenir devra reconnaître la nécessité de quelques réformes. C’est ce que sentent instinctivement les conservateurs nouveaux qui se sont appelés progressistes ; le temps éclaircira, fortifiera leurs idées, encore vagues et confuses, et leur permettra d’exercer sur le grand parti auquel ils appartiennent une influence d’autant plus efficace, qu’elle aura été préparée avec plus de patience et d’habileté.

Il y a encore ceci de remarquable et d’heureux, c’est que du côté de l’opposition la question de la réforme électorale est entre les mains d’hommes modérés et sérieux, sincèrement dévoués à la monarchie constitutionnelle. C’est un progrès sur ce qui s’est passé en 1839, où les plans les plus divers se sont produits. En 1847, M. de Genoude, pour se faire un peu écouter de la chambre, a été obligé, tout en faisant des réserves, d’appuyer la proposition de M. Duvergier. Ni M. Garnier-Pagès, ni M. Arago, ni M. Ledru-Rollin n’ont pris la paroles C’est le centre gauche, c’est la gauche dynastique, qui proposent aujourd’hui à la chambre et au pays une réforme électorale, qui, loin d’être subversive de la loi existante, veut la compléter et la développer. Il y a eu, il y aura encore débat sur la nature, sur la bonté des moyens indiqués par M. de Hauranne et ses amis, mais il faut reconnaître que leur motion a un caractère modéré ; constitutionnel, anti-révolutionnaire. Loin d’être contraire aux droits de la libre discussion, cette modération permet de les exercer avec plus de franchise et d’éclat. On a pu s’en convaincre en entendant M. Billault et M. Duchâtel,