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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/203

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encore au collège, et il se trouva que le duc d’Orléans fut voltairien avant l’avènement de Voltaire.

C’est surtout au XVIIIe siècle que se produisit cette connexion étroite que nous avons signalée entre les idées et les mœurs. L’essor que prit la pensée changea rapidement la manière d’être et de vivre. On vit les rangs se confondre et les barrières sociales tomber. Le théâtre ne retentissait-il pas de la maxime : les mortels sont égaux ? La noblesse perdit du terrain, l’argent en gagna, et les grands seigneurs ne purent plus humilier les financiers. Le talent littéraire devint un pouvoir, et les gens de lettres furent non plus protégés, mais fêtés ; ils eurent des flatteurs. On courait au plaisir au nom de la philosophie ; quoi de plus charmant ? On se croyait en possession des deux plus grands biens du monde, le bonheur et la vérité. Aussi la société avait-elle alors un ton bruyant, une allure hardie, une verve licencieuse ; on ne doutait de rien, et l’on se permettait presque tout.

Cette gaieté fanfaronne était une réaction contre la gravité hypocrite qui avait été si puissante dans la dernière moitié du XVIIe siècle. De tout temps, les hommes ont cherché à dissimuler leurs vices et à donner le change sur leurs qualités ; toutefois l’hypocrisie proprement dite appartient surtout à la civilisation moderne. Sur ce point, la nature humaine a révélé d’étranges profondeurs. J’en voudrais indiquer les raisons. Dans les sociétés antiques, l’homme était invité à la vertu par la voix de sa conscience, par les conseils de la philosophie, par la bonne renommée qui s’attache à la pratique du bien. La religion n’intervenait pas dans la direction de sa vie. D’un autre côté, la vertu, qui devait être l’objet de son ambition, était plutôt une vertu politique, utile à la patrie, qu’une vertu morale voulant descendre dans tous les replis du cœur ; elle demandait plus d’héroïsme que de délicatesse. Cependant une religion nouvelle vint changer les conditions de la vertu ; elle recula les limites de la conscience et de la moralité. Les premiers devoirs de l’homme furent dans ses rapports avec Dieu et dans sa propre sanctification ; l’empire de la spiritualité commença. L’ame et l’imagination virent s’ouvrir devant elle des régions inexplorées, des abîmes inconnus. Elles s’y précipitèrent avec une avidité inquiète, avec épouvante ; mais leur terreur se tourna bientôt en sombre volupté. Pourquoi sommes-nous contraint de constater que, dans cette rénovation morale du genre humain, le mal eut sa part et ses conquêtes ? La religion qui changeait ainsi l’homme et la face du monde joignait à l’autorité de ses doctrines un culte pompeux et des pratiques obligatoires pour tous, à l’observation desquelles on reconnaissait les croyans. Les mauvaises passions comprirent bientôt qu’en se conformant à toutes ces pratiques, elles pourraient se satisfaire elles-mêmes impunément. Elles prirent tous les signes extérieurs de la piété, de la foi ; elles usurpèrent la puissance et