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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/222

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L’histoire, qui aurait dû rester au moins l’inviolable asile de la vérité, abdique sa gravité pour prendre la voix emphatique et sonore des tribuns du peuple, et, comme elle capte les suffrages de la place publique, elle se trouve aujourd’hui n’être pas plus libre qu’au temps où elle était la complaisante des cours. Enfin, n’avons-nous pas entendu quelques représentans de la religion, et des plus éloquens, adresser à notre siècle, du haut de la chaire chrétienne, d’habiles adulations, et accommoder l’Évangile aux théories à la mode ? Toutes ces flatteries peuvent un instant arracher à la foule qui les savoure des applaudissemens, mais elles exercent une influence funeste sur les œuvres de ceux qui les prodiguent. Laissez le temps faire un pas, et vous serez étonnés de la décrépitude précoce de toutes ces belles choses. Sans parler d’une postérité bien lointaine, les générations qui, dans trente ans, disposeront de la renommée, auront-elles les mêmes passions, les mêmes fantaisies que celles qu’on adule aujourd’hui ? Il ne reste dans les littératures et dans l’estime des peuples que les œuvres qui procurent à l’esprit des plaisirs fondés sur la raison. Tel est l’héritage que les générations se transmettent avec fidélité les unes aux autres : quant aux objets d’un luxe faux et corrupteur avec lesquels on a voulu les séduire, elles les rejettent après s’en être diverties un moment, elles les brisent, et c’est à peine si les curieux à venir en trouveront quelques vestiges. Ni l’engouement des contemporains, ni les richesses mal dépensées de l’imagination, n’ont le pouvoir de sauver de l’oubli ce que la vérité n’a pas marqué de sa tutélaire empreinte. L’oubli ! voilà le châtiment, voilà l’enfer qui sert de sanction et de vengeance à la raison offensée. Puisse la perspective de cet inévitable néant inspirer un repentir utile à ceux qui ont aimé sérieusement la gloire, et que des séductions de tout genre ont entraînés dans des écarts fâcheux ! Puissent-ils remonter dans les régions supérieures de l’art ! Quant à ceux que l’idée de l’oubli et du dédain de l’avenir trouve insensibles, chez ceux-là l’ame est morte, et pour ces pécheurs endurcis il n’y a plus de salut.


LERMINIER.