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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/275

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revenir en France pour y vivre au moyen de ses épargnes : 4° enfin, pour condition suprême, surveillance tutélaire du gouvernement, qui garantisse la loyale exécution du contrat.

Le premier fait à établir dans une entreprise bien ordonnée est donc l’équilibre des salaires et des objets de consommation. Dans l’état présent de l’Algérie, le prix de la main-d’œuvre est en moyenne le double de ce qu’il est en France, et les prétentions de l’ouvrier s’élèvent naturellement à mesure qu’on l’éloigne des centres de population, où sa sécurité est plus grande. Le salaire de l’Européen varie, selon les lieux et la nature des services, de 2 à 5 francs par jour. Les maçons et les charpentiers demandent jusqu’à 6 francs pour s’aventurer en pleine campagne. Même à ces prix, que les colons trouvent excessifs, on ne réunirait pas les bras nécessaires pour développer la spéculation agricole sur une large échelle. C’est que, dans un pays où la production et le commerce ne sont pas régularisés, où mille incidens influent sur le prix des marchandises, l’ouvrier ne sait pas ce qu’il fait en vendant son travail : un salaire, élevé en apparence, le laissera peut-être au dépourvu. « Une comparaison entre le prix de la vie à Alger et celui de nos villes de France échappe à tous nos calculs, dit M. Genty de Bussy. Ce serait au mois de mai celui de la Bretagne, ce serait au mois de septembre celui de Paris, encore pourrait-il changer vingt fois dans l’intervalle. » Une grande compagnie peut corriger ces fluctuations, en appropriant à une société libre le principe sur lequel reposent les industries coloniales. Dans les pays anciens, dont la population est forte relativement à leur étendue, les propriétaires du sol, ayant le monopole de la vente des vivres, s’arrangent pour les faire payer aussi cher que possible aux industriels et aux rentiers. Il n’en est pas de même dans les pays nouvellement exploités et dont la population est très faible encore. Là chacun possède assez de terre pour obtenir les alimens dont il a besoin : la production des vivres, ne pouvant pas constituer un monopole lucratif, tente rarement les spéculateurs. On ne s’y adonne spécialement que dans certaines contrées où elle peut être pratiquée sur une échelle immense et avec des chances de succès vraiment phénoménales, comme dans la région centrale de l’Union américaine. Chaque fois, au contraire, que le climat le permet, le but principal de la spéculation agricole est la vente d’une marchandise de haut commerce, telle que le sucre, le café, le coton, les épices ; la culture des denrées alimentaires, réduite aux besoins intérieurs du domaine, devient un accessoire dans l’exploitation. C’est au moyen de cette combinaison, et non pas par le fait même de l’esclavage[1], que le planteur obtient la possibilité

  1. Il est démontré que l’esclavage coûte aussi cher que le travail libre, seulement la possession de l’esclave assure au maître la continuité du travail.