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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/319

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participent au mouvement de chaque siècle ; elles en reçoivent une influence qui les modifie en plus ou en moins. L’idiotie échapperait-elle seule à cette action du progrès sur les organismes de la vie et sur les maladies morales ? Nous ne le croyons pas. Chaque jour, les inégalités de l’intelligence tendent, dans l’ordre civil, non à disparaître (ce qui serait un mal), mais à s’atténuer. Il se passe sous nos yeux, pour les richesses morales, un fait analogue à celui de la division de la propriété dans l’économie politique. Ajoutez à cela l’influence de l’enseignement sur les masses : les esprits ordinaires s’égalisent jusqu’à un certain point dans l’éducation publique ; cette répartition plus uniforme des connaissances vient en aide à la nature pour accélérer le progrès organique de l’espèce humaine. Il est donc permis de croire que, les dons de la civilisation étant, dans de certaines limites, héréditaires, les cas d’idiotie, qui sont des défaillances de la nature dans la série de ses productions intellectuelles et morales, deviendront probablement plus rares, quand la masse sera plus éclairée par l’éducation.

Les progrès de l’éducation doivent assurer, du moins en partie, le triomphe des influences morales sur les causes de plus en plus restreintes de l’idiotisme. En attendant ces résultats, que le moraliste entrevoit et que le législateur devrait préparer, n’y a-t-il pas quelque chose à faire pour améliorer dans la société le sort d’une race d’hommes déclassés qui viennent trop souvent grossir la population des bagnes et des prisons ? Ne pourrait-on pas prévenir, dans certains cas, des fautes, des crimes mêmes dont les auteurs sont coupables devant la loi, mais dont ils sont quelquefois innocens devant la science ? La question légale que soulève l’imbécillité mérite de fixer ici notre attention. Il se rencontre des sujets chez lesquels le germe du crétinisme existe sans éclater. Ces êtres médiocres arrivent même quelquefois à faire illusion sur leur infériorité réelle par le vernis des connaissances et des dehors. Les faveurs de la fortune concourent alors avec l’éducation à masquer les imperfections de l’intelligence. Dans les familles riches, on voit beaucoup de ces imbéciles instruits. L’opinion, toujours favorable dans le monde aux positions faites, contrebalance autour d’eux les disgraces de la nature. Il n’en est pas de même quand ces demi-hommes (c’est ainsi que les nommait le docteur Gall) ont pris naissance dans la classe pauvre. Loin de les soutenir, le monde extérieur les accable. M. Lélut nous a montré à la Salpêtrière des filles imbéciles qui arrivent, par les soins qu’on leur donne, à lire, à coudre, à se rendre utiles dans la maison que leur manque-t-il donc pour se rattacher entièrement à la société ? Il ne leur manque en vérité presque rien, un je ne sais quoi, dirait Pascal ; mais ce presque rien, si peu de chose qu’on ne saurait l’évaluer au juste, leur étant retiré, ces pauvres filles retombent tout de suite dans le monde à l’état d’impuissance et d’isolement ; elles mourraient