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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/343

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qu’aux jours d’insurrection, et qui est alors si naïvement embarrassé du pouvoir, qu’il a hâte de l’abandonner ? Sera-ce M. Mendizabal, l’homme de l’Europe le plus fécond en programmes, le possesseur de ce fameux secret qui devait pacifier l’Espagne il y a dix ans, et qui a été bien gardé jusqu’ici, on doit l’avouer ? M. Cortina n’est-il pas un avocat habile et disert plutôt qu’un politique doué de quelque initiative ? et ne voit-on pas, en ce moment même, un des hommes les plus accrédités, les plus graves, les mieux intentionnés, je crois, M. Pacheco, risquer assez légèrement son avenir, se laisser porter au ministère par je ne sais quelle influence capricieuse, tandis que le cabinet qu’il remplace s’en va sans motif, — comme il était venu, à la vérité ? Non ; il y a à Madrid des ministres qui se transmettent le pouvoir ; il y a des esprits distingués qui s’entretiennent des affaires publiques ; il y a surtout en Espagne des hommes toujours prêts à se jeter aveuglément dans une lutte aventureuse ; il y a des hommes doués d’un vaillant courage qui semblent appeler le danger, prodiguent leur vie avec passion, vont au-devant de la mort en souriant. C’est là l’invincible penchant de la nature espagnole ; c’est là qu’on peut la trouver encore parfois pleine de grandeur. Mais ces qualités sérieuses et fortes, cette intelligence profonde des situations, cette fécondité de ressources pratiques, cette aptitude à appliquer un système de gouvernement ; qui donnent tant d’autorité à un homme dans un pays constitutionnel, c’est en vain qu’on les cherche. L’Espagne a un mot bien plus concis que le nôtre pour désigner l’homme d’état, c’est celui d’estadista, qui rivalise avec le stateman anglais ; elle a le mot en attendant qu’elle possède la chose. Ou, s’il existe à Madrid quelques administrateurs d’élite qui s’approchent de ce type élevé, qui réunissent quelques-unes de ces qualités que je signalais, on ne leur laisse pas même le temps d’appliquer leurs vues, de s’éclairer par l’expérience. Voyez ce qui est arrivé à M. Mon, le financier qui a fait le plus d’efforts pour sauver la Péninsule du désordre, le ministre qui a soustrait son pays à la tutelle des traitans et a brisé ce réseau de contrats désastreux qui livraient le trésor public à quelques banquiers. Il est remplacé par M. Salamanca, qui serait un grand ministre s’il suffisait d’une hardiesse peu commune dans les spéculations de toute nature unie à une prodigalité de don Juan. M. Salamanca est sans doute passé homme d’état le jour où il se faisait complimenter sur son élection à la vice-présidence du congrès par les artistes de son théâtre du Circo, comme un impresario qui vient d’obtenir un succès.

On peut remarquer un effet d’un autre genre produit par cette confusion. Dans les temps même les plus calmes, lorsque la force n’est point l’unique arbitre des situations, voyez combien le hasard reste encore puissant et se plaît à se jouer des hommes, combien le caractère