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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/357

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chaque soir presque tous les écrivains, les poètes madrilègnes, et même des hommes politiques : on y a vu des présidens du conseil. C’est bien un des lieux où il se dépense le plus d’esprit. Là vous recevrez le plus aimable accueil, vous qui venez de loin avec quelque attachement aux choses littéraires ; vous pourrez, en une soirée, voir se succéder dans le salon de Romea le simple et modeste Hartzenbusch, un des rares écrivains de Madrid qui savent ce que c’est que le style ; le brillant Zorrilla, étourdi comme un enfant, poète comme on ne l’est qu’en Espagne, c’est-à-dire exclusivement, sans aucune autre préoccupation : Breton de los Herreros, dont la figure somnolente et narquoise éclaire parfois de quelques reflets de cette verve qui s’est répandue en cent comédies ; Ventura de la Vega, cet esprit délicat et élégant, qui est aussi bon acteur que poète lorsqu’il le veut, et ce brave et ardent Escosura, qui a été tout ce qu’on peut être, officier d’artillerie, chef politique, sous-secrétaire d’état, journaliste, poète, académicien, portant partout son activité et son énergie. Combien d’autres faudrait-il nommer ? La littérature madrilègne a là tous les soirs son centre de réunion, et la charmante cordialité qu’on y rencontre fait un instant oublier ce qui manque au Principe sous d’autres rapports.

Si dans cette sphère des plaisirs intellectuels l’Espagne a encore plus d’un progrès à réaliser ; la littérature du moins, on peut le dire, a eu un réveil qui n’a pas été sans éclat ; elle a donné des témoignages de vitalité et de force. Il n’en est pas de même des autres branches de l’art ; malgré le talent et les efforts de quelques hommes remarquables, tels que M. Madrazo, M. Vicente Espinel, la peinture se relève à peine de sa décadence ; les productions nouvelles ont peu de caractère et d’originalité ; on pourrait les rattacher aux écoles françaises. Il est vrai que Madrid compte en peinture de bien autres richesses ; Madrid est peut-être la ville du monde qui possède les plus belles galeries de tableaux antiques. Outre les collections de l’académie de San-Fernando, de la Trinidad, le Musée royal est un véritable panthéon de toutes les gloires de la peinture. Tous les pays où l’art a pris un brillant essor ont là quelques-uns de leurs chefs-d’œuvre. Il n’y a pas long-temps encore, tous ces tableaux étaient dispersés dans les maisons royales, à Aranjuez, à l’Escurial, au Pardo ; le Musée réunit aujourd’hui environ deux mille toiles de toutes les écoles et des plus grands maîtres. Chaque salle, peut-on dire, est un musée différent. Ici c’est d’abord l’Espagne, là l’Italie, la France, la Flandre, la Hollande, l’Allemagne ; chaque salle contient une école ou plutôt est consacrée à un pays. Raphaël a au Musée de Madrid quelques-unes de ses plus belles œuvres : la Vierge au poisson, la Vierge connue sous le nom de la Perla, le Spasimo, ce tableau qui est l’expression suprême de la douleur, qui montre le Christ s’affaissant sous la croix en gravissant le Calvaire, tandis que des femmes attendries, poussées par une pitié profonde qui se reflète