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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/446

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dans nos ports en toute franchise, nos cultivateurs seraient réduits à déserter les champs, en laissant les terres en friche. D’où l’on induit la nécessité de repousser ces produits par des droits restrictifs, afin d’exhausser ou de maintenir la valeur vénale des nôtres. Voilà ce qu’on répète sans cesse, en dépit de tant de faits qui attestent le contraire. Voyons du moins ce qu’il peut y avoir de fondé dans ces allégations.

On conviendra, d’abord, qu’il serait assez extraordinaire qu’un peuple ne pût entretenir la plus nécessaire, la plus vitale de toutes ses industries, qu’à la condition de s’imposer pour elle un tel fardeau. Quoi donc ! l’agriculture, cette industrie sans laquelle aucun peuple ne peut vivre, ne se soutiendrait dans un grand pays, dans un pays tel que la France, qu’autant que la masse du public consentirait à payer éternellement ses consommations les plus nécessaires à des prix artificiels, exorbitans. S’il en était ainsi, il faudrait gémir sur le triste sort réservé à l’humanité dans l’avenir. En admettant, en effet, cette hypothèse, comme ce sont aujourd’hui les peuples les plus avancés en industrie et en civilisation qu’on prétend menacés dans leurs travaux les plus utiles, et comme ce sont, au contraire, les moins avancés, tels que la Russie et la Pologne, qu’on suppose devoir écraser les autres par leur concurrence, il faudrait en conclure que cette situation alarmante se perpétuerait, quant à nous, sans aucun espoir d’amélioration : elle ne ferait même, à mesure que nous avancerions dans la carrière, que s’aggraver avec le temps. Triste perspective, qui ne nous montrerait, comme résultat d’une civilisation plus parfaite, qu’une détresse toujours croissante !

Il est remarquable, en outre, que cette prétendue nécessité de protéger les produits agricoles contre l’invasion des produits étrangers n’a jamais apparu que dans un petit nombre d’états, précisément dans ceux où l’influence des propriétaires fonciers avait déterminé l’établissement des mesures restrictives, et uniquement après que ces mesures, établies d’abord sous divers prétextes, y eurent produit leur ordinaire effet. Tant que la France a permis la libre importation des produits agricoles de l’étranger, c’est-à-dire jusqu’en 1814, on ne s’est point aperçu que l’invasion de ces produits y fût le moins du monde à craindre. Outre que les denrées du sol y étaient à aussi bas prix que dans la plupart des états voisins, on en exportait tous les ans des quantités considérables. Nos vins, nos huiles, nos lins, nos chanvres, nos bestiaux, nos blés même, quand on en permettait l’exportation, trouvaient au dehors de larges débouchés. Il est vrai qu’à notre tour nous demandions souvent à l’étranger des produits semblables, pour combler le déficit accidentel de nos récoltes ; mais les importations et les exportations se tenaient à peu près en équilibre, et notre agriculture conservait ses droits. On ne s’apercevait nulle part que la concurrence d’aucun autre peuple eût,