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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/505

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la parole écrite ; mais, sans imiter cette sévérité banale et intolérante qui ne distingue pas dans ce qu’elle juge, j’avoue qu’en ce moment la mission des écrivains me paraît mal remplie : ils sont en faute envers leur temps, ils le flattent et ne le servent pas.

On reproche d’abord à la littérature actuelle d’être mercantile et d’être improvisatrice. Il y a du vrai dans le reproche ; seulement il ne retombe pas de tout son poids sur ceux auxquels il s’adresse.

Las de voir que tous les métiers enrichissaient, excepté le métier de l’esprit, il est trop certain que des écrivains ont voulu prendre leur revanche et faire leurs preuves de noblesse financière. En vérité, la tentation était forte. L’industrie, grace à la grandeur de ses opérations, à l’habileté de ses calculs, peut-être aussi à un certain art de se faire valoir elle-même aussi bien que sa marchandise, joue un premier rôle dans les sociétés modernes. Elle conduit maintenant à l’honneur. On a pu se demander pourquoi le talent ne mènerait pas à la fortune. Réellement la société est plaisante quand elle reproche à la littérature de se faire industrielle. Qu’est-elle donc elle-même ? et la politique n’a-t-elle pas fait exactement comme la littérature ?

On ajoute que la rapidité de la vapeur est enviée de nos écrivains : en s’appliquant à la presse qui imprime, elle semble avoir gagné jusqu’à l’esprit qui fait imprimer ; mais de tout temps l’improvisation a tenu une grande place dans les lettres ; elle a toujours régné dans la controverse ; elle est le seul procédé qui convienne et suffise à la polémique. Rarement aussi, bien rarement, ce qui était improvisé a été durable ; non que le talent manquât, il y a des œuvres du moment qui valent des productions lentement achevées. Comme dans certaines occasions de la vie la présence d’esprit sans la réflexion fait des merveilles, il y a une présence de talent qui enfante parfois des chefs-d’œuvre. Cependant les ouvrages ainsi faits n’offrent pas ordinairement un attrait durable à l’esprit ; ils n’ont presque jamais cette forme perfectionnée, ce fini d’exécution qui contente seul un goût difficile, qui place les compositions littéraires au rang des modèles et les fait admettre comme specimen approuvés dans l’enseignement de l’art. Difficilement ils peuvent devenir ce qu’on appelle classiques. Si les Lettres Provinciales n’avaient pas été recommandées par le patronage de la meilleure et de la plus puissante école littéraire, si Port-Royal enfin ne les eût protégées après les avoir dictées, je ne sais si elles auraient conservé dans la postérité l’admiration qui leur était due ; bien leur a pris que les maîtres du XVIIe siècle aient été pour la plupart jansénistes. L’esprit de parti cette fois, contre sa coutume, a puissamment servi la justice.

Mais, en général, tous les improvisateurs littéraires doivent se résigner à voir leurs œuvres périr avant eux ; sauf quelques exceptions heureuses, ils laissent un nom plus connu que leurs écrits. Que dis-je ?