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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/516

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En 1803, Ferdinand épousa une princesse de Naples, fille de la reine Caroline. Cette union a été l’origine de toutes les discordes qui depuis ont troublé l’intérieur de la maison d’Espagne. La princesse, élevée à l’école de sa mère, avait une pétulance de caractère, un esprit d’intrigue et de domination qui ne tardèrent pas à lui aliéner le cœur de la reine Luisa. Au bout de six mois, ces deux femmes étaient ennemies. L’abbé Escoïquitz se trouva mêlé indirectement à ces divisions domestiques ; il reçut des confidences dangereuses et donna des conseils qui le compromirent sans retour dans la cause de Ferdinand. Une mort prématurée enleva subitement la princesse des Asturies. Cette mort venait si à propos pour servir les passions haineuses de la reine, qu’on ne manqua pas de dire, sans qu’on pût alléguer la moindre preuve à l’appui d’une pareille imputation, que la jeune princesse était morte empoisonnée. Ferdinand se trouva tout à coup plongé dans l’isolement et la tristesse. Il regarda autour de lui et s’appliqua à se faire des partisans. Un prince, un héritier du trône a-t-il jamais manqué d’amis ? Bientôt il eut une petite cour composée d’hommes sûrs et dévoués : c’était d’abord son ancien précepteur, l’abbé Escoïquitz, puis le duc de l’Infantado, le comte d’Orgaz, le marquis d’Ayerbe, le duc de San-Carlos, le comte de Montarco. Ils devinrent ses conseillers intimes et le guidèrent au milieu des écueils semés autour de sa personne. La cour se trouva divisée en deux partis, celui du prince des Asturies et celui du prince de la Paix. Égarés par la haine qui les enflammait l’un contre l’autre, ils se prêtaient mutuellement les sentimens et les desseins les plus odieux. Les amis de Ferdinand accusaient le favori de vouloir écarter du trône l’héritier légitime, et peut-être d’oser concevoir la pensée de s’y mettre à sa place. Godoy à son tour laissait planer le soupçon que Ferdinand conspirait dans l’ombre contre l’autorité du roi son père. Effrayé cependant des dangers auxquels l’exposait l’inimitié du jeune prince, le favori tenta une démarche de réconciliation ; il proposa de l’unir à la sœur de sa propre femme. En formant de tels noeuds, Ferdinand ne se serait point mésallié, car la sœur de la princesse de la Paix était de race royale. Il penchait, dit-on, à l’accepter ; mais tous ses amis le dissuadèrent de contracter une alliance qui l’eût déshonoré et placé dans la dépendance de son plus grand ennemi.

Poussé à bout, menacé par le prince des Asturies, Godoy n’avait plus qu’un moyen de se garantir contre les ressentimens de son ennemi, c’était de tâcher de le perdre et d’accroître sa propre puissance. Il trouva dans la reine une auxiliaire passionnée qui ne servit que trop bien ses projets. La santé chancelante du roi faisait appréhender un changement prochain de règne. L’idée de descendre du trône, de se trouver à la merci d’un fils dans lequel elle voyait un rival, obsédait