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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/546

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honneur au ciseau de M. Pradier. Pourquoi faut-il que ce visage réveille en nous des souvenirs tellement précis, qu’il nous est impossible de les passer sous silence. L’original de ce morceau est connu depuis long-temps ; c’est une tête de François, qui se trouve dans le commerce, et que chacun peut se procurer. La seule modification qui appartienne à M. Pradier, c’est l’ouverture de la bouche qui dans l’original est fermée. Sauf cette variante sans importance, la tête de Mlle de Montpensier est littéralement copiée sur une tête de François. Il y a, je le reconnais volontiers, dans l’imitation que nous avons sous les yeux, une vérité, une souplesse, bien difficiles à surpasser. Je ne crois pas même qu’il soit donné au ciseau d’aller au-delà ; je ne crois pas que l’art humain puisse animer le marbre plus heureusement que ne l’a fait M. Pradier. Je dis animer, car cet enfant respire et n’est qu’endormi. Oui, sans doute, c’est un chef-d’œuvre d’exécution ; mais ce chef-d’œuvre aurait une bien autre valeur, si l’auteur eût consulté directement la nature, au lieu de copier un morceau connu depuis longtemps. La mémoire est une excellente chose dont il ne faut cependant pas abuser, si l’on ne veut pas mériter le même reproche que le repas de langue apprêté par Ésope. Et pourtant il y a dans la statue couchée de Mlle de Montpensier tant d’abandon, tant de naïveté, tant de grace enfantine, qu’il faut remercier M. Pradier de son heureux plagiat. Pour ceux qui savent, l’original diminue singulièrement la valeur de la copie ; pour ceux qui ne savent pas, et le nombre en est grand, l’original est comme non avenu ; la foule pourra donc se livrer sans inquiétude à son admiration, et je suis loin de la blâmer.

Des trois bustes envoyés par M. Pradier, le meilleur, à mon avis, est celui de M. Auber. La ressemblance est très satisfaisante, et les différentes parties du visage sont étudiées et rendues avec un soin qui, chez l’auteur, n’est pas habituel. Il lui arrive rarement en effet de traiter la tête avec autant d’attention et de persévérance que le torse et les membres. Tout entier au choix des lignes harmonieuses qui doivent séduire et captiver l’œil du spectateur, il néglige presque toujours l’expression et la réalité du visage. Pour le buste de M. Auber, il a donc dérogé à ses habitudes. L’œil et la bouche ont de la finesse ; le front pense ; les plis des paupières sont indiqués avec précision et sans sécheresse. Je crois que l’auteur pourrait faire mieux encore ; cependant c’est un ouvrage très recommandable, et je voudrais que M. Pradier se décidât à étudier plus souvent le masque humain comme il l’a fait cette fois. Le buste de M. le comte de Salvandy est d’une exécution beaucoup moins précise que l’ouvrage précédent. Je ne dis rien de la ressemblance, qui pourrait être certainement plus complète, mais qui cependant est suffisante. Sous le rapport de la réalité, il laisse beaucoup à désirer. Le front, les joues et le menton sont plutôt indiqués que