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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/585

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la ville fut portée à 24 hectares et entourée d’une enceinte munie de cinq bastions : ceux qui flanquent de gauche et de droite la porte d’Italie sont un reste de cette ancienne fortification. L’arsenal maritime ne fut pas encore créé : on sait qu’à cette époque les escadres se composaient de bâtimens marchands armés en guerre.

Vauban visita pour la première fois Toulon en 1669 ; il avait trente-six ans, et n’était encore que capitaine. Louis XIV venait de confier à Colbert, déjà contrôleur-général des finances, le département de la marine. La flotte allait donc prendre des dimensions avec lesquelles la darse de Henri IV n’était pas en harmonie ; il fallait des chantiers, un arsenal, des bassins, pour les escadres que Vivonne, Tourville, Duquesne, devaient commander. Vauban étudia, dans ce premier voyage, les projets de ces vastes travaux, et, depuis ce jour jusqu’à sa mort, Toulon ne cessa pas un instant d’être un des principaux objets de ses préoccupations. Il creusa la darse neuve dans le marécage de Castigneau, remblaya avec les terres qu’il en tira l’emplacement de l’arsenal, contruisit les quais, les ateliers, les magasins ; enfin il enveloppa le nouvel établissement maritime et la ville agrandie dans l’enceinte qui devait soutenir les siéges de 1707 et de 1793.

Ce grand homme fermait les yeux le 13 mars 1707, quatre mois avant le jour où le prince Eugène et le duc de Savoie devaient passer le Var. Il vivait donc assez pour assister à la réalisation de ses prévisions sur l’issue de la politique fatale suivie par Louis XIV vis-à-vis de la maison de Savoie[1], et mourait trop tôt pour voir l’entreprise des ennemis de son pays échouer au pied des remparts qu’il avait élevés.

L’année 1707 commençait en pleine guerre de la succession : l’Allemagne, l’Angleterre, la Hollande et la Savoie formaient contre la France épuisée une redoutable coalition ; le prince Eugène commandait les forces réunies en Piémont, menaçant à la fois les parties de l’Italie soumises à l’Espagne, la Provence et le Dauphiné. Une flotte anglo-hollandaise était maîtresse de la Méditerranée. Fidèles à la politique d’asservissement de l’Italie, l’empereur Charles VI et le conseil aulique voulaient qu’on marchât droit sur Naples ; le duc de Savoie, Victor-Amédée II, entendait avant tout recouvrer la Savoie et le comté de Nice que nous occupions, il rêvait en outre le démembrement à son profit des provinces voisines ; mais l’Angleterre mit un terme à toutes les hésitations. Appuyés par les états-généraux de Hollande, les ministres de la reine Anne représentèrent impérieusement que les subsides au moyen

  1. Le roi possédait en Piémont Suse, Pignerol, Casal et Saluces. Vauban, qui avait visité ces places, n’a pas perdu une seule occasion d’en recommander l’échange, soit contre la Savoie, soit contre Nice, et de présenter ces possessions au-delà des Alpes comme une cause d’affaiblissement pour la France. Ses Oisivetés contiennent, à cet égard, des détails qui prouvent qu’il n’était pas moins bon politique que grand ingénieur. Son génie était, en effet, le bon sens poussé jusqu’à son extrême limite.