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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/590

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mais dans les aberrations les plus étranges, dans les excès les plus déplorables, on y conserve presque toujours un sentiment très vif de nationalité. Ce caractère a manqué au plus grand événement dont Toulon ait été le théâtre : quelques traîtres qui se trouvèrent, en 1793, à la tête des affaires de la ville et de la marine, parvinrent, en trompant le peuple[1], et malgré la résistance des matelots de la flotte, à livrer la ville aux Anglais. Ils ont eux-mêmes pris soin, dans un temps où l’on exploitait de pareils souvenirs, de constater leur infamie dans un livre presque officiel[2], où l’on dit l’armée ennemie pour désigner les troupes françaises, et où l’on glorifie les sentimens de ceux qui, au moment de la trahison, se déclaraient unis de cœur et d’esprit aux Anglais et aux autres puissances coalisées[3].

Le 28 août, l’amiral Hood, commandant en chef les forces britanniques, espagnoles, piémontaises et napolitaines, appelé par les autorités locales, prit possession de la place et de ses dépendances. Il occupa la ville avec 5,000 hommes, les forts environnans avec 10,450, et forma dans ses équipages un corps de débarquement de 4,000 hommes. Comprenant que la possession de la ville était subordonnée à celle de la petite rade, et celle de la petite rade à celle des deux promontoires correspondans qui la ferment au sud, ce fut là surtout qu’il se fortifia. Sur celui de l’est, 4,000 hommes gardaient la Grosse-Tour, le fort de la Malgue et l’espace intermédiaire ; à l’ouest, une redoute, surnommée le Petit-Gibraltar, à cause de sa force, couronna la hauteur de Caire, au-dessous de laquelle les forts de l’Éguillette et de Balaguier croisent leurs feux sur toute la passe : 2,050 hommes défendaient cette position ; l’artillerie des vaisseaux appuyait les mouvemens des troupes de terre, et l’intrépide commandant Féraud, que l’ardeur de son royalisme avait jeté dans les rangs des ennemis de son pays, s’avançait avec une flottille de canonnières dans les parties de la baie de la Seyne où les vaisseaux ne pouvaient pas pénétrer. Telles étaient les dispositions formidables que nos discordes civiles et les dangers des autres frontières avaient donné aux Anglais le temps de prendre.

Dès le mois de septembre, le général Carteaux les chassait des Gorges d’Ollioule, et le général Lapoype, détaché de l’armée d’Italie, les isolait du côté du nord-est, en s’établissant à la Valette et à Solliès. Bientôt le brave Dugommier prenait le commandement en chef ; le matériel de siège se réunissait à grand’peine, et le comité de salut public envoyait à l’armée un plan d’attaque méthodique rédigé par le comité des

  1. La preuve des véritables dispositions d’une grande partie de la population résulte du soin qu’eurent les anglais de la faire désarmer immédiatement.
  2. Mémoires pour servir à l’histoire de la ville de Toulon en 1793, rédigés par M. Z. Pous. Paris, 1825.
  3. Déclaration du comité général de la ville de Toulon du 24 août 1794.