Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/637

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la main blanche. » Ce sont les signes qui distinguent les drapeaux des Maronites et ceux des Druses, dont le fond est également rouge d’ailleurs.

Je pris congé de ce Turc, et, comme je savais que mes compagnons resteraient encore à Bethmérie pendant la plus grande chaleur du jour, je me dirigeai vers le quartier des Druses, accompagné du seul Moussa. — Le soleil était dans toute sa force, et, après avoir marché dix minutes, nous rencontrâmes les deux premières maisons. Il y avait devant celle de droite un jardin en terrasse où jouaient quelques enfans. Ils accoururent pour nous voir passer et poussèrent de grands cris qui firent sortir deux femmes de la maison. L’une d’elles portait le tantour, ce qui indiquait sa condition d’épouse ou de veuve ; l’autre paraissait plus jeune, et avait la tête couverte d’un simple voile, qu’elle ramenait sur une partie de son visage. Toutefois on pouvait distinguer leur physionomie, qui dans leurs mouvemens apparaissait et se couvrait tour à tour comme la lune dans les nuages. L’examen rapide que je pouvais en faire se complétait par les figures des enfans, toutes découvertes, et dont les traits, parfaitement formés, se rapprochaient de ceux des deux femmes. La plus jeune, me voyant arrêté, rentra dans la maison et revint avec une gargoulette de terre poreuse dont elle fit pencher le bec de mon côté à travers les grosses feuilles de cactier qui bordaient la terrasse. Je m’approchai pour boire, bien que je n’eusse pas soif, puisque je venais de prendre des rafraîchissemens chez le moudhir. L’autre femme, voyant que je n’avais bu qu’une gorgée, me dit « Tourid leben ? Est-ce du lait que tu veux ? » Je faisais un signe de refus, mais elle était déjà rentrée. En entendant ce mot leben, je me rappelais qu’il veut dire en allemand la vie. Le Liban tire aussi son nom de ce mot leben, et le doit à la blancheur des neiges qui couvrent ses montagnes, et que les Arabes, au travers des sables enflammés du désert, rêvent de loin comme le lait, — comme la vie ! La bonne femme était accourue de nouveau avec une tasse de lait écumant. Je ne pus refuser d’en boire, et j’allais tirer quelques pièces de ma ceinture, lorsque, sur le mouvement seul de ma main, ces deux personnes firent des signes de refus très énergiques. Je savais déjà que l’hospitalité a dans le Liban des habitudes plus qu’écossaises : je n’insistai pas.

Autant que j’en ai pu juger par l’aspect comparé de ces femmes et de ces enfans, les traits de la population druse ont quelque rapport avec ceux de la race persane. Le hâle, qui répandait sa teinte ambrée sur les visages des petites filles, n’altérait pas la blancheur mate des deux femmes à demi voilées, — de telle sorte qu’on pourrait croire que l’habitude de se couvrir le visage est avant tout chez les Levantines une question de coquetterie. L’air vivifiant de la montagne et l’habitude du travail colorent fortement les lèvres et les joues. Le fard