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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/640

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coule profondément encaissé. On cultivait dans ce petit espace des bananiers, des palmiers nains, des limoniers et autres arbres de la plaine, qui, sur ce plateau élevé, devenaient une rareté et une recherche de luxe. Je songeais un peu aux châtelaines dont les fenêtres grillées donnaient probablement sur ce petit Éden, mais il n’en fut pas question. Le prince me parla long-temps de sa famille, des voyages que son grand-père avait faits en Europe et des honneurs qu’il y avait obtenus. Il s’exprimait fort bien en italien, comme la plupart des émirs et des cheiks du Liban, et paraissait disposé à faire quelque jour un voyage en France.

À l’heure du dîner, c’est-à-dire vers midi, on me fit monter à une galerie haute, ouverte sur la cour, et dont le fond formait une sorte d’alcôve garnie de divans avec un plancher en estrade ; — deux femmes très parées étaient assises sur le divan, les jambes croisées à la manière turque, et une petite fille qui était près d’elles vint dès l’entrée me baiser la main, selon la coutume. J’aurais volontiers rendu à mon tour cet hommage aux deux dames, si je n’avais pensé que cela était contraire aux usages. Je saluai seulement, et je pris place avec le prince à une table de marqueterie qui supportait un large plateau chargé de mets. Au moment où j’allais m’asseoir, la petite fille m’apporta une serviette de soie longue et tramée d’argent à ses deux bouts. Les dames continuèrent pendant le repas à poser sur l’estrade comme des idoles. Seulement, quand la table fut ôtée, nous allâmes nous asseoir en face d’elles, et ce fut sur l’ordre de la plus âgée qu’on apporta des narguilés.

Ces personnes étaient vêtues, par-dessus les gilets qui pressent la poitrine et le, claeytian (pantalon) à longs plis, de longues robes de soie rayée ; une lourde ceinture d’orfèvrerie, des parures de diamans et de rubis témoignaient d’un luxe très général d’ailleurs en Syrie, même chez les femmes d’un moindre rang ; quant à la corne que la maîtresse de la maison balançait sur son front et qui lui faisait faire les mouvemens d’un cygne, elle était de vermeil ciselé avec des incrustations de turquoises ; les tresses de cheveux entremêlés de grappes de sequins ruisselaient sur les épaules, selon la mode générale du Levant. Les pieds de ces dames, repliés sur le divan, ignoraient l’usage du bas, ce qui, dans ces pays, est général, et ajoute à la beauté un moyen de séduction bien éloigné de nos idées. Des femmes qui marchent à peine ; qui se livrent, plusieurs fois le jour à des ablutions parfumées, dont les chaussures ne compriment point les doigts, arrivent, on le conçoit bien, à rendre leurs pieds aussi charmans que leurs mains ; la teinture de henné, qui en rougit les ongles, et les anneaux des chevilles, riches comme des bracelets, complètent la grace et le charme de cette portion de la femme, un peu trop sacrifiée chez nous à la gloire, des cordonniers.