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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/646

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de la montagne. Il me racontait encore une anecdote locale analogue. Un Druse et un Maronite qui faisaient route ensemble s’étaient demandé : « Mais quelle est donc la religion de notre souverain ? — Il est Druse, disait l’un. — Il est chrétien, disait l’autre. » Un métuali (sectaire musulman) qui passait est choisi pour arbitre, et n’hésite pas à répondre : « Il est Turc. » Ces braves gens, plus irrésolus que jamais, conviennent d’aller chez l’émir lui demander de les mettre d’accord. L’émir Bechir les reçut fort bien, et, une fois au courant de leur querelle, dit en se tournant vers son vizir : « Voilà des gens bien curieux ! qu’on leur tranche la tête à tous les trois ! » Sans ajouter une croyance exagérée à la sanglante affabulation de cette histoire, on peut y reconnaître la politique éternelle des grands émirs du Liban. Il est très vrai que leur palais contient une église, une mosquée et un khalouè (temple druse). Ce fut long-temps le triomphe de leur politique, et c’en est peut-être devenu l’écueil.


XI. – UN COMBAT.

J’acceptais avec bonheur cette vie des montagnes, dans une atmosphère tempérée, au milieu de mœurs à peine différentes de celles que nous voyons dans nos provinces du midi. C’était un repos pour les longs mois passés sous les ardeurs du soleil d’Égypte, — et quant aux personnes, c’était, ce dont l’ame a besoin, cette sympathie qui n’est jamais entière de la part des musulmans, ou qui, chez la plupart, est contrariée par les préjugés de race. Je retrouvais dans la lecture, dans la conversation, dans les idées, ces choses de l’Europe que nous fuyons par ennui, par fatigue, mais que nous rêvons de nouveau après un certain temps, comme nous avions rêvé l’inattendu, l’étrange, pour ne pas dire l’inconnu. Ce n’est pas avouer que notre monde vaille mieux que celui-là, c’est seulement retomber insensiblement dans les impressions d’enfance, c’est accepter le joug commun. On lit dans une pièce de vers d’Henri Heine l’apologue d’un sapin du Nord couvert de neige, qui demande le sable aride et le ciel de feu du désert, — tandis qu’à la même heure un palmier brûlé par l’atmosphère aride des plaines d’Égypte demande à respirer dans les brumes du Nord, à se baigner dans la neige fondue, à plonger ses racines dans le sol glacé !

Par un tel esprit de contraste et d’inquiétude, je songeais déjà à retourner dans la plaine, me disant, après tout, que je n’étais pas venu en Orient pour passer mon temps dans un paysage des Alpes ; — mais, un soir, j’entends tout le monde causer avec inquiétude ; des moines descendent des couvens voisins, tout effarés ; on parle des Druses qui sont venus en nombre de leurs provinces et qui se sont jetés sur les cantons mixtes, désarmés par ordre du pacha de Beyrouth. Le Kesrouan,