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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/697

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Enfin, le 10 avril, Ferdinand partit après avoir institué, sous la présidence de son oncle, l’infant don Antonio, une junte suprême à laquelle il remit la direction du gouvernement. Il n’emmena qu’une suite peu nombreuse, ses conseillers habituels, le chanoine Escoïquitz, les ducs de l’Infantado et de San-Carlos, son ministre des affaires étrangères, don Pedro Cevallos, les comtes d’Altamira et de Labrador, et quelques autres grands d’Espagne. Le général Savary s’étant offert pour accompagner Ferdinand, celui-ci s’y prêta de bonne grace, ne soupçonnant pas qu’il se plaçait sous la garde d’un surveillant chargé de le remettre entre les mains de l’empereur.

Il arriva le 12 au soir à Burgos. Il espérait y trouver une lettre de Napoléon qui lui annoncerait son entrée en Espagne. N’en trouvant pas, il témoigna une grande surprise et hésita s’il poursuivrait sa route ; mais, sur l’observation du général Savary que l’empereur ne pouvait être loin, il poussa sur Vittoria. Là, pas plus qu’à Burgos, nul message impérial, mais un grand mouvement de troupes françaises ; partout des colonnes en marche, et dans la population un trouble, une agitation extraordinaire. De tous côtés arrivaient les informations les plus sinistres : on sut qu’un colonel français avait dit publiquement que Ferdinand voyageait en prisonnier. Un jeune Espagnol, beau-frère de Duroc, et qui avait pris du service en France, don Martinez Hervas, avait accompagné Savary à Madrid : ses relations de famille et sa sagacité lui avaient fait deviner ce qui se tramait contre les princes d’Espagne. Avant que Ferdinand quittât Madrid, il avait essayé, mais inutilement, de dessiller les yeux des conseillers du prince. Arrivé à Vittoria, le patriotisme l’emporta tout-à-fait sur ses nouveaux devoirs ; il alla trouver le duc de l’Infantado, lui confia tout ce qu’il savait et tout ce qu’il soupçonnait, et lui dit que, si le roi mettait le pied en France, il n’en sortirait plus.

La peur et l’irrésolution commencèrent à s’emparer sérieusement du prince et de sa petite cour. Le 13 au soir, Savary s’étant présenté, selon l’usage, pour connaître l’heure à laquelle on se mettrait en route le lendemain, Ferdinand refusa de le voir et lui fit répondre qu’il n’irait pas plus loin. Le général se trouva fort embarrassé : il avait mission de conduire Ferdinand à Bayonne ; il avait réussi à l’amener jusqu’à Vittoria, il en avait informé l’empereur, et voilà que tout à coup le prince refuse d’avancer ! Il comprit que, s’il ne serrait fortement le nœud du lacet, la victime allait lui échapper. En conséquence, il eut avec don Pedro Cevallos, avec le chanoine Escoïquitz et le duc de l’Infantado un long entretien dans lequel il mit en œuvre tout ce qu’il avait d’esprit, de ruse et d’éloquence, pour dissiper les alarmes qui s’étaient emparées d’eux tous. Cette fois encore, il parvint à calmer leurs inquiétudes. Cependant, jugeant que la dignité du prince ne lui